mardi 5 juillet 2016

Les eaux de Paris. 2 : avant Haussmann




Fontaine d'applique dans une cour. Modèle des fonderies du Val d'Osne, 2ème moitié du XIXe s. IXe ardt.
Seuls les propriétaires avaient la possibilité de souscrire un abonnement. Dans un premier temps, le seul
point d'eau était dans la cour de l'immeuble. Les fontaines qui subsistent et qui datent de la seconde moitié
du XIXe siècle ne servaient sans doute qu'à nettoyer la cour.




Où l'on détourne les eaux de l'Ourcq pour étancher la soif grandissante de Paris, où l'on peut enfin nettoyer les rues encombrées d'immondices et curer les égouts envasés, où le Préfet Rambuteau installe partout des bornes-fontaines, et où l'on estime satisfait du travail accompli sans songer à amener une eau saine et abondante dans tous les domiciles.



La légende qui voyait Paris sortir des temps obscurs avec l'arrivée du Baron Haussmann à la préfecture de la Seine était trop belle. Si c'est bien sous sa direction que la ville s'est métamorphosée, les régimes précédents avaient déjà posé les bonnes questions et entrepris d'y répondre. Si leur œuvre effective peut sembler modeste, c'est que leurs connaissances techniques (hydraulique ou hygiène par exemple) étaient bien moins développées et que leur autorité était moins "impériale".
La réalisation la plus conséquente, le canal de l'Ourcq, a d'ailleurs été décidée sous le règne de Napoléon 1er, alors que la Monarchie de juillet se contentera d'organiser la distribution de l'eau de ce canal et de forer le puits artésiens de Grenelle. Néanmoins, de nombreuses études ont été entreprises sous la Restauration et sous Louis-Philippe, qui permettront à Haussmann, une fois aux commandes (et quelles commandes !), de décider dans des domaines déjà abondamment discutés.
La tradition de gratuité de l'eau parisienne est une donnée à prendre en compte. De tous temps, les parisiens qui ne pouvaient s'offrir les services des porteurs d'eau et le luxe des fontaines payantes (avec eau filtrée) pouvaient s'approvisionner, soit directement dans la Seine, soit aux fontaines publiques. Cette gratuité va freiner la mise en place d'un service public forcément coûteux.
Une autre donnée importante est la qualité que les parisiens prêtaient à l'eau de Seine par rapport aux eaux de source. Si ce penchant peut s'expliquer par la mauvaise qualité (dureté) des eaux des sources du Nord et par la saleté des nombreux puits, pollués par les fosses d'aisance, il deviendra de moins en moins défendable au fur et à mesure que les industries et les égouts déverseront dans le fleuve, et pendant longtemps en amont des prises d'eau (Pont Notre-Dame, Passy), une quantité croissante d'eaux infectes.


 

Canal de l'Ourcq

 
On avait plusieurs fois projeté d'alimenter Paris avec des eaux prises au dessus de la ville pour pouvoir satisfaire plus aisément les besoins des quartiers éloignés du fleuve. Plusieurs projets avaient concerné l'Yvette, et, dès 1676, la rivière Ourcq avait été évoquée.


 
Nouveau passage du Canal d'Ourcque, projet de 1728. Source : Gallica





C'est en 1802 que Napoléon 1er décide la construction du canal de l'Ourcq. Ce canal n'est qu'une partie d'un projet plus vaste et qui ne verra jamais le jour : il s'agissait aussi de creuser un autre canal qui, partant du bassin de La Villette, contournait Saint-Denis pour atteindre Pontoise. Ce projet, on le voit, ne concernait pas seulement l'alimentation en eau. Ces canaux de navigation devaient aussi relier Paris à Anvers. Le canal de l'Ourcq doit sa singularité et son relatif échec à cette double fonction. Canal de transport, il ne pouvait être couvert comme un aqueduc, et l'eau amenée à Paris se révélerait peu appréciée pour la consommation, dans un premier temps parce qu'inférieure en qualité à l'incomparable eau de Seine, puis en raison de la saleté inhérente à un canal de navigation, surtout lorsqu’on sait ce que riverains et mariniers faisaient (jusqu'il y a peu) de leurs diverses déjections.
L'ingénieur Girard, qui avait fait l'expédition d'Égypte, fut chargé par Napoléon de la direction des travaux. Bien qu'issu de l'École des Pont et Chaussées, il fut violemment contesté par ses pairs en raison d'erreurs manifestes, alors que la science hydraulique (qui permet de calculer la circulation et la distribution de l'eau) était encore balbutiante. Il réalisa pourtant un exploit : la salubrité de l'eau potable étant, selon la science de l'époque, due en grande partie à son mouvement, il conçut un lit sans écluse assurant une vitesse de 35 cm par seconde.
Changement de régime, impérities, ce chantier qui devait durer 3 ans en dura 23 et ne fut achevé qu'en 1825, Girard ayant été remercié en 1817.
Le projet de Girard concernait aussi la distribution de l'eau dans Paris, et il établit le premier relevé altimétrique de la capitale. Reflet des conceptions du temps, l'eau, qui partait de réservoirs alimentés par un aqueduc de ceinture, ne desservait que les fontaines publiques, sans qu'on se préoccupât d'amener l'eau à domicile. L'estimation des besoins quotidiens par parisien, tous services confondus, c'est à dire aussi bien pour les usages publics que privés (l'entretien des rues et des égouts), était de 5 litres par jour ! Et la priorité était donnée au lavage des rues (qui recevaient alors les eaux ménagères) et aux égouts qui empuantissaient la ville faute d'être suffisamment nettoyés.
Avant l'achèvement total des travaux, les eaux de la Beuvronne atteignent Paris en 1809 et coulent à la fontaine des Innocents. Au final, ce seront 80 000 m3 d'eau supplémentaires par jour pour Paris.


 
 
 
Plan de la distribution des eaux du canal de l'Ourcq dans l'intérieur de Paris. 1812. Projet de Girard. Ill. Gallica.bnf.fr. Les eaux de l'Ourcq n’alimentent que la rive droite.




Plan de la distribution des eaux du canal de l'Ourcq dans l'intérieur de Paris. 1812. Projet de Girard. Ill. Gallica.bnf.fr. Les fontaines publiques occupent alors une place centrale dans la distribution de l'eau.



 
Beaucoup d'études furent faites et de projets conçus sous le Préfet Chabrol de Volvic (1810-1830), mais sans autre réalisation notable que l'achèvement du canal de l'Ourcq. C'est le préfet Rambuteau (1831-1848) et l'ingénieur Emmery, Directeur des Eaux et des Égouts, qui accomplirent des travaux d'envergure : on passe, durant la Monarchie de Juillet, de 39 000 à 165 000 mètres de canalisations et de 257 à 1158 bornes-fontaines.
Si l'intérêt pour les "classes malheureuses" a sa part dans les travaux effectués, les préoccupations hygiéniques ne sont pas en reste, d'autant qu'un allié de poids les a rendues plus impérieuses : le choléra. L'Épidémie de 1832 a durement frappé Paris, y faisant près de 20 000 morts (2,35% de la population), surtout dans les quartiers populaires. Bien que fondée sur une théorie fausse (des miasmes délétères engendrés par un environnement malsain), la science médicale, appuyée sur un important travail statistique, a vite repéré l'importance des eaux sales dans la propagation du fléau. 


 
Viaduc de la Rue de l'Aqueduc, Xe ardt. Cette rue doit son nom à l'aqueduc de ceinture qui amenait l'eau de l'Ourcq depuis le bassin de  La Villette jusqu'au réservoir de Montceau, conformément au projet de Girard. Il est toujours utilisé.
 





Puits Artésien


Le débit modeste du puits artésien de Grenelle (907 m3 par jour) qu'on avait mis 8 ans à forer permit tout de même, grâce à sa pression, d'alimenter une partie de la rive gauche, la plus mal lotie de la ville. 






FONTAINES PUBLIQUES.


Une lettre adressée au président de notre Réunion par M. le vicomte Héricart de Thury, conseiller d'État, directeur des travaux publics, qui a bien voulu nous autoriser à en faire usage, nous dispense du soin de donner aucun développement à cette proposition. Cette lettre d'un homme qui, par ses lumières et par sa position, peut apprécier mieux que personne la nécessité et les avantages de l'établissement de nouveaux marchés et de nouvelles fontaines publiques, est, en effet, le meilleur argument en faveur de notre réclamation, et nous ne saurions faire mieux que de la transcrire ici en entier.
« MONSIEUR, Pour répondre aux questions que vous m'avez fait l'honneur de m'adresser sur les moyens les plus propres à donner ou à rendre aux différens quartiers de Paris éloignés du centre des affaires une valeur qu'ils ne peuvent recevoir des spéculations particulières, je pense qu'il n'en est pas de plus efficace que l'établissement de nouveaux marchés et de nouvelles fontaines publiques demandées avec instance dans plusieurs quartiers qui en sont entièrement privés.
(...)
» Les fontaines publiques ne sont pas assez multipliées ; quelques quartiers en manquent entièrement. Les habitans ne peuvent se procurer l'eau qui leur est nécessaire que par les porteurs d'eau au tonneau, qui souvent, pour répondre plus promptement aux demandes, comme pour éviter la rétribution qu'ils doivent aux préposés des fontaines publiques, remplissent clandestinement leurs tonneaux à des pompes ou à des puits d'intérieur de maison. Les eaux de ces puits sont presque toutes dures, séléniteuses et plus ou moins infectées par les infiltrations des puisards, des fosses d'aisance ou du terrain artificiel qui forme le sol de Paris et de ses environs. Les eaux du canal de l'Ourcq et du bassin de la Villette, bonnes pour les lavages et les gros ouvrages d'intérieur de ménage, ne peuvent servir pour la table. Enfin les eaux de la Seine, fournies par les machines à vapeur ou les pompes, sont très bonnes ; mais les fontaines publiques ne sont pas assez multipliées ; dans certains quartiers elles sont trop rares, dans quelques autres elles manquent même entièrement. Réduits à se servir d'eaux de puits, beaucoup d'habitans se plaignent, avec raison, de la mauvaise qualité de ces eaux.
» Dans un tel état de choses, je pense, Monsieur, qu'on ne saurait trop encourager l'établissement de puits forés, de ces puits qui, bien établis, donnent à peu de frais des eaux constamment jaillissantes, dégagées de tous les principes pernicieux que présentent les eaux des puits ordinaires de Paris ; enfin des eaux abondantes, de bonne qualité, et jamais arrêtées dans leur cours par les gelées.
(...)

Fontaine du puits artésien de Grenelle. Place Georges Mulot, XVe ardt. La fontaine actuelle date de 1905 et le puits n'est plus en service. Avec un débit d'environ 10 litres par seconde à sa création en 1841, ce puits n'a joué qu'un rôle minime. Il permettait cependant d'alimenter un secteur que n'atteignaient pas les eaux du canal de l'Ourcq.



» J'ai l'honneur d'être, etc., etc. »
Cette lettre ne saurait manquer d'exciter l'attention publique. Les avantages qui résulteraient de l'existence des puits artésiens à Paris sont tels qu'il serait à désirer que les expériences nécessaires pour démontrer non-seulement la possibilité, mais encore la facilité de leur établissement, fussent tentées par l'administration de la ville. Les propriétaires de maisons éloignées des fontaines publiques s'empresseraient de rechercher ces avantages, du moment qu'ils pourraient se les procurer à des prix modérés.


 

Chaussées


La transformation des chaussées fendues avec écoulement central en chaussées bombées avec écoulements le long des façades rendit plus aisé le nettoyage des rues. Surtout, les prises d'eau installées pour le nettoyage des caniveaux et des égouts furent utilisées pour créer des bornes-fontaines auxquelles on pouvait puiser de l'eau aux heures où elles étaient alimentées.



Une fontaine assez exceptionnelle. 11, rue Pecquay, IVe ardt.


Égouts


Les égouts ne servaient jusqu'alors qu'à évacuer (assez mal) les eaux pluviales et les immondices de la rue où étaient directement jetées les eaux ménagères. Le branchement des maisons aux égouts, interdit jusqu'en 1811, se met en place au fur et à mesure que des canalisations sont installées dans les rues. L'abondance des eaux de l'Ourcq amène une amélioration notable de l'entretien des collecteurs.


Une des raisons de l'hostilité des propriétaires, qui peuvent seuls contracter abonnement, à l'installation de points d'eau dans leurs immeubles tient à l'absence de raccordement aux égouts. Sans ce raccordement, en effet, l'eau utilisée est déversée dans les fosses d'aisance dont la vidange est à la charge des propriétaires. Ils ont donc tout intérêt à limiter la consommation de leurs locataires.




Fontaine en fonte dans une cour d'immeuble. Seconde moitié du XIXe s.
85, rue de la Verrerie, IVe ardt.
 


 

Bornes fontaines


A l'origine, les bouches d'arrosage des rues sont faites exclusivement pour le nettoiement des rues, mais les particuliers, séduits par la proximité de ces installations, mettent au point d'ingénieux systèmes pour chaparder le précieux liquide. Dans un premier temps, l'administration répond par des mécanismes complexes destinés à empêcher ce détournement, puis, suivant l'exemple anglais, elle installe des bornes-fontaines ouvertes au public par intermittence. Elles resteront, avec les fontaines publiques, le principal moyen d'obtenir de l'eau gratuite jusqu'à l'arrivée dans les immeubles de l'eau payante. Leur fermeture progressive, à la toute fin du XIXe siècle, fera renaître les scènes antérieures à leur création, les plus démunis se voyant de nouveau contraints de s'alimenter à même le caniveau.



Les bornes-fontaines publiques sont une révolution dans l'alimentation en eau, car elles multiplient considérablement l'accès à une eau gratuite. On passe durant le long "règne" du préfet Rambuteau de 257 à 1158 bornes-fontaines. L'eau est fournie de manière intermittente jusqu'à l'arrivée des robinets à repoussoir qui permettent d'éviter le gaspillage.





Borne fontaine. Modèle de 1828. Source : Gallica







Certaines fontaines de cours d'immeubles reprennent l'esthétique austère des bornes-fontaines publiques.
19 rue du Louvre, Ier ardt. Modèle des fonderies du Val d'Osne, XIXe siècle.



 

 
 

Journal des économistes : revue mensuelle de l'économie politique, des questions agricoles, manufacturières et commerciales, 1845

DE L'ADMINISTRATION DE LA VILLE DE PAR!S ET DU DÉPARTEMENT DE LA SEINE.

Les progrès de la civilisation avaient amené graduellement déjà de notables améliorations dans les conditions d'existence des populations urbaines, lorsque l'invasion subite du choléra, en 1832, est venue diriger plus vivement encore l'attention générale vers les mesures à prendre pour agir utilement sur l'état sanitaire des villes. On s'en est occupé en tout pays, et la publication des procès-verbaux des enquêtes ouvertes en Angleterre sur ce sujet, a révélé particulièrement bien des misères, excité bien des sympathies on s'est senti ému de pitié en songeant qu'à côté des plus beaux quartiers de la métropole anglaise, à la porte même des hôtels d'une aristocratie riche et puissante, il y avait des habitations entassées, où la vie moyenne était abrégée d'un tiers au moins de sa durée naturelle, et cela par des fièvres endémiques qui n'avaient d'autres causes que les miasmes engendrés par des eaux stagnantes et par des amas de matières en putréfaction. Les classes pauvres d'ailleurs n'étaient pas les seules qui eussent à redouter ces dangers, et sur la ville tout entière planait par le fait un même principe destructeur.
(…)

Pour que l'air conserve dans des lieux habités les qualités qui le rendent salubre, il faut s'occuper de donner un écoulement convenable aux eaux pluviales, et surtout à celles qui ont servi aux usages domestiques il faut en outre ne laisser séjourner près des habitations aucun amas de matières organisées, animales ou végétales de nature à entrer promptement en putréfaction. On comprendra donc quels doivent être les inconvénients d'un régime qui ne fait pas de la construction des égouts l'affaire de la commune, et laisse le soin d'en établir à ceux qui sont assez riches pour en payer l'entreprise.
(...)

S'il est un service pour lequel il soit nécessaire d'avoir un plan d'ensemble, c'est sans doute celui de la distribution de l'eau dans une grande ville. Les travaux souterrains pour les galeries et la pose des tuyaux, forcent d'en user en propriétaire à l'égard du sol des rues ; et il convient de combiner d'ailleurs ces travaux avec ce qui concerne la construction des égouts et avec le pavage. La distribution de l'eau est destinée à satisfaire à des besoins divers, et se partage en services publics et services privés. Les services publics comprennent le lavage et l'arrosement des rues et des places, l'écoulement aux fontaines monumentales et la fourniture gratuite à des fontaines spéciales ou aux bornes fontaines en faveur des classes pauvres de la société. Les services privés se partagent en fourniture à domicile pour le ménage, et en fourniture à des établissements qui emploient beaucoup d'eau, tels que des fabriques ou des bains publics. Bien qu'il reste beaucoup à faire sans doute pour que Paris soit aussi complètement fourni d'eau qu'on peut le désirer, l'état actuel de la distribution est loin d'être aussi insuffisant qu'on se plaît quelquefois à le représenter. Des travaux immenses ont été conduits avec une intelligence et un ensemble dont les résultats sont remarquables, et tout prouve que l'on doit se féliciter que l'administration communale soit restée en possession de ce service, sans en concéder en monopole aucune portion à des compagnies particulières.
(...)



Fontaine dans une cour d'immeuble. 62, rue Notre-Dame de Nazareth, IIIe ardt. 2e moitié du XIXe siècle.



Le mouvement de la navigation sur les trois canaux ayant pris de l'importance, et le bassin de La Villette étant devenu un port de commerce dans lequel séjournent de nombreux bateaux, la prise d'eau pour la distribution a été reportée en amont au-dessus de l'entrée dans ce bassin, afin d'obtenir une eau plus pure. Introduite dans Paris, cette eau est soutenue libre à son niveau dans un vaste aqueduc couvert qui s'étend, en contournant le coteau sur lequel la ville fait amphithéâtre de La Villette jusqu'à la barrière de Monceaux. L'aqueduc forme ainsi un vaste réservoir dont la température est constamment fraîche et où l'eau se renouvelle régulièrement par suite de la pente et de l’écoulement non interrompu par les tuyaux une rigole d'embranchement vers la rue Saint-Laurent augmente encore l'étendue de ce vaste récipient d'où partent toutes les conduites maîtresses. L'écoulement devient alors exclusivement forcé dans les tuyaux de distribution qui se ramifient dans toute la ville, de manière à pourvoir au lavage des rues par les bornes-fontaines, et à fournir à toutes les concessions demandées par abonnement.

Au moyen de l'établissement des chaussées bombées, tous les ruisseaux ont été reportés le long des trottoirs, il ne s'est plus agi, pour éviter les coupures transversales formant cassis, que d'ouvrir une entrée d’égout au point bas du ruisseau qui entourait ainsi chaque îlot de maisons, et pour en faire le lavage, de placer une borne-fontaine au point le plus élevé. Le lavage a été ainsi combiné en prenant en considération les côtés de chaque îlot plutôt que les différentes rues séparément, et l'on a du régler le pavage de manière à éviter, autant que possible, d'avoir à construire plus d'une entrée d’égout pour chaque îlot.
(...)

La permission du puisage gratuit aux bornes-fontaines est un véritable bienfait pour les classes pauvres il n'est point de ménage à Paris où l'on fasse servir l'eau successivement, comme à Londres, à plusieurs usages, faute de pouvoir s'en procurer. Un médecin qui avait demandé à se laver les mains en visitant les maisons de pauvres gens de Bethnal-Green, a dû reculer devant le liquide fangeux et fétide qui lui était présenté.
(...)

Il est loin d'être exact de dire qu'en Angleterre l'eau soit envoyée dans tous les appartements de chaque maison ; elle arrive seulement en général à un entresol à peine élevé de trois mètres au-dessus du niveau de la rue. Chaque maison d'ailleurs étant habitée par une seule famille, tout le gros service, celui qui nécessite l'emploi de beaucoup d'eau, se fait au-dessous même du sol. A Paris, où les maisons sont fort élevées et où chaque étage est non-seulement occupé par un locataire, mais encore souvent par plusieurs familles, la distribution d'eau à haute pression à tous les étages présenterait de véritables et graves inconvénients ; il est douteux que l'on trouvât beaucoup de propriétaires qui voulussent en faire l'essai. Les maisons de Paris, construites en belles pierres de taille pour les façades, sont dans toutes les autres parties bâties en moellons et en plâtre et, si ces matériaux sont d'un emploi commode et solide, ils ont cependant l'inconvénient de s'altérer par l'humidité les murs une fois salpêtrés et mouillés ne se sèchent plus, aussi les propriétaires redoutent-ils particulièrement de louer pour les professions qui exigent l'emploi de l’eau. Avec la distribution à chaque étage ils auraient à redouter non-seulement le défaut de soins assez inhérent à la population parisienne, mais encore la rupture de tous les tuyaux au moment d'une gelée subite comme il en survient souvent dans le courant d'un hiver. L'eau à forte pression fait sa propre police, disent les ingénieurs anglais; la moindre ouverture de robinet, le plus petit trou à un tuyau, cause immédiatement une inondation qui force d'y porter remède mais c'est là un mode de police qui à Paris incommoderait fort les voisins de l'étage inférieur, dont les plafonds seraient souillés par l'humidité. Ce qu'il faut d'abord désirer, c'est que les propriétaires consentent à prendre un abonnement pour amener l'eau au rez-de-chaussée pour l'usage de tous les habitants de la maison en supposant qu'il fallût encore employer des bras étrangers pour la porter aux étages supérieurs, au moins la voie publique pourrait-elle être déjà débarrassée des porteurs d'eau qui l'encombrent.
(...)


Ce détail d'une photo de Marville montre les seaux de porteurs d'eaux devant la Fontaine des Moulins. Env. 1866. La rue des Moulins disparaîtra avec la création de l'avenue de l'Opéra. Image tirée du splendide site Vergue.



Il est à désirer que l'eau soit fournie désormais avec plus d'abondance encore et à meilleur marché, et il est un genre d'établissement qu'il serait surtout utile de voir fonder en faveur des classes les moins aisées de la société ce serait, dans les quartiers pauvres, des buanderies et des bains publics à très-bon marché. Les habitudes de propreté sont moralisatrices au plus haut point, en ce qu'elles développent le respect de soi-même, ce frein contre les mauvaises habitudes de la paresse et du vice. Ceux qui ont soin de leur personne deviennent toujours économes et rangés.
(...)

Si les travaux publics ne sont pas sagement conduits chez nous, ce n'est pas, on le voit, faute de précautions et de lenteurs. Les égouts de Paris ne reçoivent pas, comme ceux de Londres, les matières provenant des fosses d'aisance, et il en résulte, il est vrai, de graves embarras sans qu'on puisse songer cependant à adopter le système anglais. Dans la plupart des grandes villes d'Angleterre, d'ailleurs, on cherche à changer l'état actuel des choses ; des enquêtes sont ouvertes pour trouver un meilleur parti à prendre. Le lit de la Tamise, malgré le secours journalier de la marée, s'encombre de plus en plus de matières qui sont ainsi perdues pour l'agriculture ; il est curieux de voir les navires chargés de guano revenir, après un voyage de trois mille lieues, jeter l'ancre de nouveau dans le fleuve même où l'engrais est ainsi abandonné comme à plaisir.
(...)


Horace Say



Fontaine de cour d'immeuble. 76, rue de Turenne, IVe ardt. 2e moitié du XIXe siècle.


Immeubles


La connexion des immeubles aux réseaux d'eau se banalise. Un immeuble sur cinq sera connecté au réseau en 1850, ce qui représente encore un immense retard par rapport au modèle londonien. En raison de sa rareté, l'eau est fournie, soit au forfait (eau de l'Ourcq), soit à la jauge (eau des sources du Nord et de la Seine).
Chaque système a ses inconvénients.
Le forfait (pour un prix fixe, on se sert à discrétion) incite au gaspillage, aussi mettra-t-on au point de nombreux systèmes de robinets à fermeture automatique.
La jauge donne un débit faible et continu, il faut donc lui adjoindre des réservoirs dans lesquelles elle stagne, glaciale en hiver et chaude en été. Le matin, les premiers levés font leurs réserves, laissant le réservoir vide pour les suivants.

Le problème ne sera résolu que bien plus tard, avec l'arrivée du compteur.
 

 

Bains publics


Les bains publics sont de plus en plus nombreux. En l'absence de salles de bains, ils sont, avec la Seine, le seul moyen de se laver entièrement pour ceux qui sacrifient à cette pratique nouvelle. Leur succès donne lieu à tant de contestations entre les propriétaires et le service des eaux que c'est pour pallier ce problème récurrent qu'on commence à mettre au point les tous premiers compteurs d'eau, mais il faudra encore de nombreuses années avant qu'ils soient fiables.



 
Entrée des Bains Chantereine. 39, rue de Chateaudun, IXe ardt. Un des nombreux établissements de bains créés grâce à l'arrivée des eaux de l'Ourcq.


 



 

Lavoirs


Pour le linge, jusqu'alors lavé principalement dans la Seine depuis des bateaux affectés à cet usage (à domicile ou hors de Paris pour les gens aisés), le Conseil de Salubrité avait proposé en 1819 la création de buanderies publiques, mais le premier lavoir public voit le jour en 1837 et les premières buanderies en 1844.


 
Si de réels travaux ont été faits sous les administrations de Chabrol et surtout de Rambuteau, ils ont été freinés par le faible pouvoir des autorités et par un manque d'ampleur certain dans l'estimation des besoins. On est passé, entre 1800 et 1850, de 10 litres par jour et par habitant, tous usages confondus (service privé et public), à 60 litres, mais, tant pour la quantité que pour la qualité, on ne voyait guère la nécessité de faire mieux et l'on estimait la tâche accomplie.


Il était temps qu' un préfet autoritaire et doté de tous les pouvoirs intervienne...




Pour en savoir plus, on peut se reporter à :
-Les eaux de Paris, leur état présent, leur passé, leur avenir / Louis Figuier, 1862
-Statistique des eaux de la Ville de Paris : année 1839 / Henry-Charles Emmery
-Et l'indispensable L'eau à Paris au 19e siècle / Philippe Cebron de Lisle, 1991

Et attendre la suite de ce billet

 

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