vendredi 9 mars 2012

Les reliques de Saint Vincent de Paul. 2 : la translation



Reliques de Saint Vincent de Paul. Châsse d'Odiot, 1827. 95 rue de Sèvres, VIe ardt.

Où les reliques de Monsieur Vincent, luxueusement parées, deviennent une arme du parti-prêtre et des ultras, deux mois avant leur chute




Reliques. Seul commerce, unique spéculation qu'un ultra ne juge pas indigne de lui.

Munitions. Chapelets, scapulaires, fouets, eau bénite, reliques, bûchers, allumettes, etc., etc.

Petit dictionnaire Ultra, précédé d'un Essai sur l'origine, la langue et les oeuvres des Ultra, par un royaliste constitutionnel / Saint-Maurice, Charles-R.-E. de. Paris, 1823



25 avril 1830

Paris. Procession pour la translation des reliques de saint Vincent-de-Paul.

Le concordat de 1801, dont aucune loi n'a abrogé les dispositions, défend expressément toutes célébrations et cérémonies des cultes hors des temples qui y sont consacrés ; mais la restauration viole, quand bon lui semble, les lois, et ne prend pas même la peine de s'en justifier. Les processions se multiplient dans les villes et les campagnes comme dans les plus heureux temps de l'ancien régime ; bientôt la France ne sera plus qu'un vaste couvent, et les campagnes ne verront plus d'autres drapeaux que les bannières des confréries ; la France en revient au temps du roi Robert! 


Bannière de procession, XIXe siècle. Eglise Notre Dame.
82 rue Raymond du Temple, Vincennes, Val de Marne.


La translation des reliques a lieu, conformément au programme affiché la veille dans tout Paris (note) : elle part de Notre-Dame, traverse les quais jusqu'à la rue des Saints-Pères, d'où elle se dirige au couvent des Lazaristes, rue de Sèvres. La châsse du saint (sortie des ateliers de M. Odiot, mais qui, par sa lourde masse et sous d'autres rapports encore, fait peu d'honneur à cet orfèvre célèbre) est portée par dix hommes qui succombent à la peine ; elle coûte, dit-on, 100.000 fr., tant pour la matière que pour le travail : l'appel fait aux fidèles, dans cette occasion, a produit des souscriptions pour une somme considérable et l'archevêque espère faire payer la châsse par une allocation du conseil général de la Seine, ou par l'administration des hospices de Paris. La bonne ville de Paris n'a-t-elle pas fait présent à monseigneur d'une maison de campagne, achetée au prix de 200,000 fr., et de 60,000 francs de vaisselle plate : aussi, le saint prélat se gardera bien de payer de ses deniers la châsse de Vincent-de-Paul ; M. Odiot sera obligé de le traduire plus tard devant les tribunaux pour être satisfait.


Reliques de Saint Vincent de Paul. Châsse d'Odiot.
Médaille d'or de l'exposition industrielle de 1827. 95 rue de Sèvres, VIe ardt.

La cérémonie attire beaucoup de spectateurs ; mais ils font preuve, en général ; de peu de dévotion ou de foi, quelque grand que soit le nombre des confréries d'hommes des paroisses de la capitale, précédées de leurs saintes bannières et chantant des cantiques français. Les frères de la Doctrine chrétienne, ou ignorantins, avec leurs écoliers, les lazaristes, les séminaires, les sœurs de la Charité, les sœurs de Saint-Vincent, les curés de Paris et leur clergé, le chapitre de l'église métropolitaine, le chapitre royal de Saint-Denis, en un mot, tout le ban et l'arrière-ban du clergé précèdent l'archevêque, rayonnant de piété et de gloire. Il est escorté par de nombreux détachemens de troupes de ligne et de gendarmerie qui forment le cordon, et immédiatement suivi par le préfet de police, Mangin. Charles et son fils manquent a ce pieux cortège ; mais ils sont a la chasse, car le plus beau temps favorise ce jour-là et dévots et chasseurs.
Un historien, un publiciste dont les écrits se recommandent par de profondes connaissances et une grande élévation de vues, a donné, sur cette fête du douzième siècle, des détails que nous ne saurions passer sous silence ; il dit « Ces reliques, dont quelques feuilles libérales ont contesté l'identité, avaient été enfermées dans une châsse d'argent massif, admise à la dernière exposition des produits de l'industrie française, en 1828, moins remarquable pour son travail gothique que par le poids, qui était d'environ cinq cents kilogrammes, payée en partie par les souscriptions des fidèles. Rien n'avait été négligé pour donner la plus grande pompe à cette solennité que le parti célébrait comme un triomphe en l'honneur du chef des missions de France. » (nota. C'est-à-dire des RR. PP. lazaristes, ou RR. PP. jésuites.) « Trois ou quatre mille prêtres, ou lévites, frères des écoles chrétiennes et sœurs de la Charité, douze à quinze prélats, entre lesquels on distinguait l'archevêque de Paris, vêtu de ses habits pontificaux, formaient cette procession, à laquelle s'était jointe une foule de personnages couverts de broderies et de décorations, et qu'escortaient des troupes de la garde royale et de la garnison, dont la musique militaire se mêlait aux chants religieux du clergé. Elle traversa plusieurs quais et grandes rues que la police avait tait orner de tentures et parsemer de feuillages, au travers des flots d'une population moins édifiée qu'étonnée du spectacle qu'on offrait à ses yeux. Les reliques, arrivées à la chapelle des missions, furent exposées pendant plusieurs semaines à la vénération des fidèles ; le roi et la famille royale y allèrent publiquement faire leurs prières, et il fut frappé en mémoire de cette cérémonie une médaille, distribuée ou vendue à tous ceux qui voulurent s'en faire un mérite ou témoigner de leur piété. » (Annuaire historique universel, pour 1830)
Ce spectacle, renouvelé du moyen âge, produit une sensation entièrement opposée à l'effet qu'on s'en était promis ; il excite le dédain des classes moyennes, et le peuple lui-même tourne en dérision la promenade des reliques ; c'est sans doute un grand mal, car tout ce qui tend à affaiblir le principe religieux est affligeant. Le clergé aurait, ce nous semble, un grand Intérêt à s'abstenir de ces démonstrations publiques, lorsqu'elles se trouvent en opposition formelle avec les mœurs du temps et l'esprit du siècle. C'est mal servir les intérêts de la religion que de la livrer ainsi aux moqueries, aux dédains, aux mépris et presque à la risée de la multitude. La religion ne saurait être trop révérée, et c'est pour cette raison de premier ordre que les ministres du culte catholique devraient éviter avec le plus grand soin toutes ces rénovations, dites pieuses des temps d'ignorance et de superstition que la philosophie et les lois de l'État condamnent également.
Rien de plus respectable que les cérémonies du culte catholique ; mais il faut les renfermer dans le divin sanctuaire et ne pas les exposer en place publique ; le prêtre doit donner l'exemple d'une stricte observation des lois de l'État ; malheureusement le clergé ultramontain se place, depuis la restauration au-dessus de toutes les lois civiles, au-dessus même de la loi fondamentale de l'État. La cérémonie de ce jour ne contribuera pas peu à précipiter les événemens qui changeront bientôt la face de la France.

note : On lit dans la Gazette des Cultes : « ….. N'est-il pas étrange de voir figurer les détails d'une cérémonie catholique à côté des évolutions de Franconi, et les merveilles opérées ou a opérer par les reliques de saint Vincent-de-Paul, en contact avec les prodiges des chiens savans? » – L'archevêque aurait du se borner à afficher son mandement et son programme de fête religieuse à la porte des églises, il en a couvert tous les coins de rues ; ils portent en tête l'écusson de monseigneur, avec cette devise en bas-breton « en per emser quelen ( le houx est toujours vert). » Il y a peu de modestie et beaucoup de maladresse dans cette ostentation féodale et despotique, dont M. l'archevêque ne tardera pas, du reste, à recevoir une punition éclatante.

Saint Vincent de Paul esclave à Tunis. Vitrail de Laurent et Gsell, 1864.
Chapelle saint Vincent de Paul, 95 rue de Sèvres, VIe ardt.


L'archevêque Quélen, sous le prétexte d'une procession pour les reliques de Vincent de Paul, fit une revue générale de sa milice sacrée ; les rues et les quais de cette capitale furent, au mépris des lois, encombrés de ses noirs bataillons ; des officiers supérieurs obéissaient à des sous-diacres ; comme l'Église allait devenir militante, il fallait l'exercer, aux manœuvres. Tous les honnêtes gens furent indignés à l'aspect de l'innombrable multitude de fainéans en surplis, engraissés de la substance d'un peuple laborieux pour conspirer contre ses libertés. Voilà, se disaient-ils tout bas, les fruits de la Restauration!

Les Prêtres instigateurs du coup d'état, ce qu'ils ont fait, cequ'ils auraient fait, ce qu'ils peuvent faire / Santo-Domingo, Joseph-Hippolyte de (1785-1832). Paris, 1830






Saint Vincent de Paul enfant et déjà charitable. Vitrail de Laurent et Gsell, 1864.



Depuis plusieurs mois, s'annonçait la triomphale translation des restes de Vincent de Paul. Il y a trois ans, une châsse d'une magnificence inouïe avait été exposée au Louvre parmi les merveilles de l'industrie, comme devant contenir les reliques du saint. Malgré les dons de la piété royale et d'un certain nombre de fidèles, ce pompeux travail, d'une valeur de 60,000 fr., était à peine à demi-payé. Des appels de tout genre et réitérés à la charité publique, singulièrement détournée de son véritable objet, durent donc être tentés, et tout fut mis en usage pour arriver à combler le déficit existant. Prônes, affiches, mandemens, exhortations personnelles, verbales et écrites, de la part de l'archevêque même, eurent pour but ce résultat, et ou fit valoir tour à tour les indulgences au bénéfice des reliques, et les reliques au profit des indulgences. Déjà M. de Quélen, qui, pour l'avantage de ses grands et petits séminaires, et dans l'intérêt des congrégations de tout genre qu'il a instituées, avait remis en honneur les indulgences dont la cour de Rome a fait un si grand abus et un si scandaleux trafic, M. de Quélen, dis-je, en cette circonstance, publia qu'il en avait reçu de Léon XII, pour cette cérémonie, une large provision, et que tout récemment Pie VIII avait ravivé dans ses mains ce trésor ineffable. Ces indulgences devaient s'acquérir soit en assistant à la translation des reliques, soit en allant prier sur la châsse pendant la neuvaine, à raison de 500 jours d'indulgences par chaque visite aux reliques.
(...)



Saint Vincent de Paul prêchant aux galériens et aux pauvres. Composition du peintre
polonais Elesckiewiej, vitrail par l’atelier parisien de Jean Gaudin, 1934. Église Saint-Laurent, Xe ardt.

 
Cependant M. l'archevêque de Paris a, en diverses circonstances, affiché pour les reliques un zèle que l'on pourrait traiter d'engouement. Déjà il s'était signalé par les translations successives des reliques de S. Denis, de Ste. Geneviève, de la Passion de Jésus-Christ. Le peu d'authenticité des restes solennisés, les particularités qui se rattachèrent à ces divers actes, l'importance que le prélat y mettait néanmoins, et le soin qu'il prit d'en consacrer le souvenir par des légendes à sa gloire, dont il ne manquait pas d'enrichir, à ces occasions, le bréviaire de Paris ; tout cela avait suscité précédemment d'assez vives critiques, lorsque le fracas de sa dernière translation est venu s'y joindre. Pour les hommes instruits en ces matières, ce devait être en effet un juste sujet de blâme que cet oubli, par un archevêque, des prescriptions de l'Église même, qui défend de porter les reliques en procession sur un long développement de terrain, et à l'heure des offices, pour ne pas fatiguer la piété, prêter aux railleries, et occasionner la désertion des paroisses : Nunquam reliquioe vel imagines in processionibus deferantur tam longi itineris circuitu, ut aut populi devotio languescat, aut insolentüs occasio proebeatur (Concile de Malines, 1570). Ne, occasione reliquiarum , populus, desertâ ecclesiâ suâ parochiali, ad oratoria particularia alliciatur (Van Espen, Jus. eccles. univ. pars, sect. 2). Indépendamment de ces infractions aux lois canoniques, M. de Quélen s'était fait remarquer par la prodigieuse quantité d'indulgences qui avaient accompagné et suivi les exhibitions et translations précédentes. On a vu quelle en a été la profusion à l'occasion de la dernière solennité.
(...)



Comment Saint Vincent de Paul trouva un petit enfant rue de la Huchette.
Vitrail d'Émile Hirsch, vers 1876. Église Saint-Séverin, Ve ardt.

 
En effet, ce n'était pas tout d'avoir excité le blâme des gens sensés en consacrant à l'apôtre de la charité, au pauvre et humble Vincent de Paul, la châsse la plus fastueuse et la plus riche qui jamais ait existé, d'avoir prêté aux sarcasmes des incrédules en substituant un fantôme à la réalité, en donnant pour le corps du saint quelques débris de ses ossemens, déguisés sous un mannequin de cire, en sollicitant, par des recommandations réitérées et par la promesse d'innombrables indulgences, les offrandes que tout cet appareil semblait avoir pour but de provoquer. Ce n'était pas tout de ressusciter dans notre siècle, au milieu de notre France pensante et intimement religieuse, cette idolâtrie des reliques, si blâmée par les docteurs de l'Église, comme un reste des superstitions païennes et du culte des demi-dieux, cette idolâtrie qui tend à détourner du Créateur l'hommage qui lui est dû pour le reporter sur les autels impies dressés aux squelettes de ses créatures; il fallait encore que la péripétie de ce drame caractéristique constituât une éclatante violation des lois organiques du culte, et des principes de la liberté religieuse. Ce reproche est grave ; permettez-moi de le justifier :
Aux termes de l'art. 45 organique du concordat : « aucune cérémonie religieuse ne doit avoir lieu hors des édifices consacrés au culte catholique, dans les villes où il y « aura des temples destinés à d'autres cultes. » Cette disposition, qui fait loi de l'Etat, n'a jamais été rapportée ; elle est donc toujours en vigueur. Vainement prétendrait-on que la Charte l'a virtuellement abolie, en déclarant la religion catholique religion de l'État. Ce serait une étrange erreur ou une insigne mauvaise foi, puisque précisément à côté de cette déclaration se trouve l'art. 5, qui porte que chacun professe sa religion avec une égale liberté, et obtient pour son culte la même protection. Or, serait ce accorder à tous les cultes une même liberté et une égale protection que d'interdire aux uns ce que l'on permettrait aux autres ; de trouver bon de la part des catholiques ce que l'on trouverait mal et inconvenant de la part des protestans ou des juifs ?
Dans un pays où la parfaite égalité des cultes est écrite comme loi, toute manifestation d'une croyance, hors de l'enceinte consacrée à la célébration des rites, doit être sévèrement prohibée ; car si la prohibition n'est pas maintenue pour tous, elle doit être, par une conséquence naturelle de la loi, levée pour tous ; et alors on peut conclure avec raison de la procession catholique du 25 avril, que les fidèles de la religion de Moïse peuvent en faire une demain, si bon leur semble, et promener par les rues les objets en vénération dans leur synagogue : car, en présence de l'art. 5 de la Charte, pourquoi les uns jouiraient-ils d'une prérogative que les autres n'auraient pas ? Et cependant que d'abus et d'inconvéniens dans la pratique, si chacun des cultes nombreux existans s'avisait de vouloir imiter le catholicisme, et de croiser ses cérémonies et les files de ses processions dans les rues envahies de la capitale! Pour le coup ce serait à n'y plus tenir.
(...)



Saint Vincent de Paul. Église Saint Vincent de Paul, Clichy, Hauts-de-Seine. Vers 1905.

  
C'est contre une dérogation de ce génie, contre une infraction vainement sanctionnée par l'aveu, la coopération et la présence des autorités, contre une illégalité que n'absolvent pas les précédens, que la Gazette constitutionnelle des Cultes a élevé la voix. Elle en a signalé le caractère, elle en a proclamé les abusives conséquences ; après s'être efforcé de la prévenir, elle a manifesté le regret que lui inspirait une cérémonie qui, loin d'être un objet d'édification, avait été une occasion de trouble, un sujet de scandale et un aliment pour les ennemis de la religion. Elle a protesté avec une foule de personnes, cernées par les replis de la procession et empêchées dans leurs affaires ou leurs communications, contre l'usurpation de la voie publique, contre l'envahissement des quais et des rues pendant plusieurs heures, par les files interminables du cortège, contre l'atteinte portée aux droits des citoyens et à une foule d'intérêts privés. Elle a invoqué l'exécution du décret de l'an X, et appelé sur son infraction la sévérité des magistrats. Elle a tiré de l'oubli coupable où on la laissait dormir, cette loi si juste et si raisonnable qui défend que des hommes, au nom d'un culte que tous ne professent pas, s'emparent des voies publiques qui appartiennent à tous, de quelque croyance qu'ils soient, et non plus particulièrement aux catholiques romains-français.
Que répondre à un citoyen, lorsque, contrarié par une procession de reliques dans ses projets ou ses devoirs, il vous dira avec impatience : « De quel droit me fait-on assister malgré moi à des rites qui répugnent à ma foi ou blessent ma raison ? Que dans son temple le prêtre règle toute chose à sa guise, rien de mieux ! Si j'y entre par un acte de mon libre arbitre, je dois me soumettre à tout ce qui s'y pratique, car un culte est là chez lui. Ailleurs il me gêne et m'opprime s'il n'est pas le mien ; et s'il l'est, il gène et opprime les autres : dans les deux cas c'est un mal. » Et voilà cependant ce que la Gazette constitutionnelle des Cultes a dit et répété. Ce que vous seriez forcé de reconnaître vrai dans la bouche d'un citoyen, le condamnerez-vous dans les colonnes d'un journal ?

Plaidoirie et réplique de Me Mermilliod
, pour la "Gazette constitutionnelle des cultes", prononcées devant le tribunal correctionnel de la Seine, dans ses audiences des 26 et 28 mai 1830


St Vincent de Paul ramène des galériens à la foi.
Peinture de Jean-Jules Antoine Leconte du Nouy, 1876. Église de la Trinité, IXe ardt.


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