dimanche 25 décembre 2011

Le physicien aéronaute



Envol d'aérostat. Sépulture d'Étienne Gaspard Robertson, cimetière du Père Lachaise, XXe ardt


Où l'on apprend que le physicien Étienne Gaspard Robertson, que nous croisâmes fantasmagore, fut un maître de l'aérostat, réalisant des mesures scientifiques à plus de 7000 mètres de hauteur, avant de diriger le Tivoli le plus réputé de Paris



LES AÉRONAUTES

« J'aurais encore à vous parler (continua mon compagnon de promenade) de l'ascension équestre de M. Testu-Brissy, de celles de mesdames Blanchard et Garnerin, des belles expériences du docteur Zambeccari et de M. Robertson ; des ridicules essais de deux voleurs à tire-d'ailes, en 1801 et en 1802 ; mais nous arrivons à Tivoli, et vous avez mieux à faire que de m'écouter. »
Pour juger de l'attention que je prêtais à ce discours, et de l'admiration que m'a causée un spectacle auquel j'assistais pour la première fois, il faut se rappeler que je n'avais aucune idée de ce qu'on me racontait et de ce que j'allais voir. Instruit qu'on se portait en foule à ce jardin, les jeudis et dimanches, pour y jouir du spectacle insipide des danseurs de corde, de l'illumination et du feu d'artifice, je craignais que l'enceinte de Tivoli ne pût, cette fois, contenir la multitude des spectateurs que cette étonnante expérience me semblait devoir attirer ; tout concourait à en augmenter l'intérêt : la hardiesse de l'entreprise, qui n'avait encore été tentée que deux fois à Paris ; le sexe, la jeunesse de celle qui se dévouait à cet essai périlleux; la noble et touchante résolution qui le lui faisait entreprendre, dans la seule vue d'être utile à sa famille : quels motifs plus puissants et plus honorables pouvait-on offrir à la curiosité? Je fus étrangement surpris, en entrant, de la solitude qui régnait dans un lieu où je croyais trouver la moitié de Paris. «Vous faites trop d'honneur aux hommes, me dit mon compagnon, si vous croyez qu'un sentiment de générosité les guide jamais dans leurs plaisirs : cette expérience aura autant de spectateurs qu'elle peut en avoir ; mais tous, ou presque tous, ont calculé qu'elle était de nature à ce qu'ils pussent en jouir gratis, aucune autre considération ne s'est présentée à leur esprit : si vous vous transportiez sur les hauteurs de Montmartre et dans les plaines de Mousseaux, vous y trouveriez dix mille personnes de la classe opulente, qui s'y sont rendues pour éviter les frais de leur billet d'entrée à Tivoli. »
Un Anglais qui nous écoutait se mêla poliment de la conversation : « Je vois ici, nous dit-il, plus de mille écus de dépense, et je n'y vois pas quinze cents francs de recette ; à Londres, une pareille expérience aurait rapporté, par souscription, trois ou quatre mille guinées à la jeune personne qui va l'entreprendre sans aucun profit. — Pourquoi donc, monsieur, lui répondis-je, ne vois-je pas ici un plus grand nombre de vos compatriotes? — Nous ne sommes pas curieux à Paris ; vos journaux n'auraient pas manqué de vous donner le mérite d'une recette dont nous aurions fait les frais. — Vous ne rendez pas justice à nos journalistes ; ils sont, pour la plupart, aussi bons Anglais que vous-mêmes ; ils vous auraient laissé tout l'honneur de la fête. — Nous avons plus d'amour-propre chez nous qu'en pays étranger ; ce que nous faisons à Paris, nous ne l'aurions pas fait à Londres, et nous serions honteux d'aller nous placer, dans nos carrosses, hors de l'enceinte où l'on paie, comme le font en ce moment vos Parisiens. » Cette observation était plus juste que polie ; j'y répondis en m'éloignant.
Le petit nombre de spectateurs que nous trouvâmes à Tivoli se composait d'étrangers de marque, et de quelques dames qui se sont chargées de leur faire les honneurs de la capitale. J'aurais pu trouver là, matière à de singulières observations, mais mon attention était absorbée par un seul objet. Pendant qu'on remplissait le ballon, je me faisais expliquer, par mon savant ami, le but des différents préparatifs que je voyais s'achever avec une anxiété inexprimable. Elle augmenta beaucoup à la vue de la jeune personne qui en était l'objet.

Emplacement du Tivoli d'Été, repris par Robertson en 1826, et qui disparaîtra
en 1842. Les Barrière de Clichy et Barrière Blanche correspondent aux actuelles
Place de Clichy et Place Blanche. Plan de 1839.

Mademoiselle Garnerin, vêtue d'une robe blanche, et le front couronné de fleurs comme une victime, se fit précéder par un petit ballon d'essai qu'elle suivit un moment des yeux ; et, s'apercevant qu'il se dirigeait dans l'auréole du soleil couchant, qui le déroba dans un moment aux regards, elle prévint l'assemblée, avec beaucoup de modestie, qu'elle attendrait pour partir que le soleil, plus près de l'horizon, permît aux spectateurs de la suivre des yeux dans sa course. Le moment arrivé, la gondole, surmontée du parachute, fut attachée au ballon ; mademoiselle Garnerin s'y plaça légèrement, et, sans donner le moindre signe d'inquiétude, elle salua les spectateurs du drapeau blanc qu'elle tenait à la main, et donna l'ordre à dix hommes, qui le retenaient avec effort, de lâcher les cordes du ballon : sa force d'ascension était telle qu'il s'élança comme un trait dans les airs aux acclamations des spectateurs ; je n'y mêlai pas les miennes ; j'étais oppressé par un sentiment plus pénible ; les larmes roulaient dans mes yeux.
Il avait été convenu avec la jeune aéronaute qu'elle se séparerait du ballon au signal de la détonation de trois boîtes d'artifice : on le donne et les yeux s'attachent avec effroi sur la frêle machine qui continue à s'élever. Déjà elle avait atteint une prodigieuse hauteur ; les uns craignaient que cette jeune fille, qui montait pour la première fois dans un aérostat, ne s'y fût évanouie ; les autres, et c'était le plus grand nombre, supposaient que, retenue par une frayeur, que chacun éprouvait, à l'abri même du danger, elle ne pouvait se décider à couper, comme une parque fatale, le fil qui la retenait encore à la vie ; mais tout-à-coup un cri général d'épouvante a retenti ; la pâleur est sur tous les fronts ; le lien est coupé, la nacelle, séparée du ballon, s'abîme dans l'espace... Au même moment, le parachute se déploie, le gouffre se ferme, et l'intrépide aéronaute, mollement balancée dans les airs, semble redescendre à regret sur la terre, où tous les vœux la rappellent.

L'ermite de la Guiane. Etienne Jouy, Paris, 23 octobre 1815



Robertson, directeur du Nouveau Tivoli d'Été. Almanach des spectacles, Paris, 1822.


EXPÉRIENCES SCIENTIFIQUES DE ROBERTSON, LHOËST, SACCHAROF, ETC.

(...) Le physicien Robertson, dit Arago, a exécuté à Hambourg, le 18 juillet 1803, avec son compatriote Lhoëst, le premier voyage aéronautique dont la science a pu tirer quelques indications utiles. Les deux voyageurs restèrent suspendus dans les airs durant cinq heures et demie, et allèrent tomber près de Hanovre à 25 lieues de leur point de départ. Nous demanderons aux Mémoires de Robertson lui même, les passages les plus dignes d'intérêt de sa carrière d'aéronaute.
La première fois que nous le rencontrons dans les annales de l'aérostation, c'est en 1802, à la vente du ballon de Fleurus, dont nous parlerons au chapitre de l'aérostation militaire. A son retour d'Egypte, Bonaparte fit vendre les ballons de Meudon et rendit au génie la compagnie des aérostiers. C'est Robertson qui acheta le ballon qui avait servi à la bataille de Fleurus.
Mais trois ans auparavant, il s'était chargé de faire monter un ballon d'une forme originale dans une fête donnée à l'ambassadeur turc, au jardin de Tivoli.
(...)
La fête eut lieu à Tivoli, le 2 juillet ; Robertson s'était présenté la veille chez Esseid-Aly, pour obtenir qu'il écrivît son nom : il s'y prêta de bonne grâce, et le traça sur une feuille de papier en lettres qui avaient deux pouces de hauteur. Il lui fit offrir du café et des confitures, et promit d'assister à cette parade.
Son nom fut peint en gros caractères sur un ballon de 15 pieds de diamètre, dont la forme était celle d'un croissant. Cette expérience plut beaucoup à l'ambassadeur, et fut très-bien accueillie du public.
(...)
En 1803, Robertson partit pour Hambourg, où l'avait précédé Garnerin, ce qui suscita une rivalité peu intéressante pour nos lecteurs et que nous passerons sous silence pour arriver de suite aux ascensions qui sont l'objet de notre spectacle. Les deux premières furent manquées par la faute du gouvernement prussien, qui ne laissa pas au physicien un délai suffisant pour préparer son ascension, et qui le contraignit à gonfler son ballon pendant une véritable tempête qui brisa la soupape, rompit les cercles et emporta l'aérostat avec une vitesse de 14 milles d'Allemagne en moins d'une heure, vitesse qui n'avait jamais été donnée par aucun autre. Fort heureusement la nacelle n'était pas attachée. Ce ballon était l'un des plus beaux qu'on ait vus jusqu'alors ; il ne fut pas perdu. Le 18 juillet 1803, il était de nouveau gonflé et prêt à s'envoler dans l'espace.
C'était à côté de Hambourg, dans le jardin de Lhoëst. L'Alster, petite rivière qui se jette dans l'Elbe, forme près de Hambourg un lac charmant, sur la promenade appelée Jungfernstieg. Ce fut au milieu de ce lac que dix marins robustes, descendant l'Alster sur un bateau, conduisirent l'aérostat, impatient d'échapper à leurs efforts, quoique les deux voyageurs fussent déjà dans la nacelle. Ce spectacle nouveau, par un temps magnifique, attira toute la ville. Les sénateurs eux-mêmes, près d'entrer au conseil, quittèrent leurs stalles en boiserie gothique et accoururent tout costumés, avec leurs grandes fraises à la Henri IV et leurs robes noires en forme de soutane.
Voici une partie de la relation adressée plus tard sur ce voyage aérien au président de l'Académie impériale de Saint-Pétersbourg.
« Je partis à neuf heures du matin, accompagné de M. Lhoëst, mon condisciple et compatriote français, établi dans cette ville ; nous avions 140 livres de lest. Le baromètre marquait 28 pouces 0", le thermomètre de Réaumur 16 degrés. Malgré un faible vent de nord-ouest l'aérostat monta si perpendiculairement et si haut, que dans toutes les rues chacun croyait l'avoir à son zénith. Pour accélérer notre élévation, je détachai un parachute en soie, d'une forme parabolique, et ayant dans sa périphérie des cases dont le but était d'éviter les oscillations. L'animal qu'il contenait, enfermé dans une corbeille, descendit avec une lenteur de deux pieds par seconde, et d'une manière presque uniforme. Dès l'instant où le baromètre commença à descendre, nous ménageâmes notre lest avec prudence, afin d'éprouver d'une manière moins sensible les différentes températures par lesquelles nous allions passer.
« A 10 heures 15 minutes le baromètre était à 19 pouces et le thermomètre à 3 au-dessus de zéro. Sentant arriver graduellement toutes les incommodités d'un air trop raréfié, nous commençâmes à disposer quelques expériences sur l'électricité atmosphérique. Mes premiers essais ne réussirent pas ; mais je ne tardai pas à en trouver la cause : j'observai que l'aérostat étant un corps isolé dans l'espace, et que faisant moi-même partie de ce corps isolé, j'aurais beaucoup de peine à connaître le degré de l'électricité de l'atmosphère, ainsi que sa nature titrée ou résineuse. Pour opérer, il fallait au moins que mes instruments pussent sortir de la sphère d'activité, et j'y parvins de cette manière.
« Nous jetâmes du lest pendant quelque temps ; bientôt le baromètre indiqua un mouvement progressif ; enfin, le froid augmenta et nous ne tardâmes pas à le voir descendre avec une extrême lenteur. Pendant les différents essais dont nous nous occupions, nous éprouvions une anxiété, un malaise général ; le bourdonnement d'oreilles dont nous souffrions depuis longtemps augmentait d'autant plus que le baromètre dépassait les 13 pouces. La douleur que nous éprouvions avait quelque chose de semblable à celle que l'on ressent lorsque l'on plonge la tête dans l'eau. Nos poitrines paraissaient dilatées et manquaient de ressort, mon pouls était précipité ; celui de M. Lhoëst l'était moins : il avait, ainsi que moi, les lèvres grosses, les yeux saignants ; toutes les veines étaient arrondies et se dessinaient en relief sur mes mains. Le sang se portait tellement à la tête, qu'il me fit remarquer que son chapeau lui paraissait trop étroit. Le froid augmenta d'une manière sensible ; le thermomètre descendit alors assez brusquement jusqu'à 2 degrés, et vint se fixer à 5 1/2 au-dessous de glace, tandis que le baromètre était à 12 pouces 4/100. A peine me trouvai-je dans cette atmosphère que le malaise augmenta ; j'étais dans une apathie morale et physique ; nous pouvions à peine nous défendre du sommeil que nous redoutions comme la mort. Me défiant de mes forces, et craignant que mon compagnon de voyage ne succombât au sommeil, j'avais attaché une corde à ma cuisse, ainsi qu'à la sienne ; l'extrémité de cette corde passait dans nos mains. C'est dans cet état, peu propre à des expériences délicates, qu'il fallut commencer les observations que je me proposais.
« Ranimés par un peu de vin, nous répétâmes d'abord avec l'électromètre et le condensateur l'expérience détaillée plus haut, et nous n'obtînmes aucun atome d'électricité. »
Nous choisissons et nous donnons ici les expériences les plus importantes.
(...)
Cinquième expérience. « Pour connaître à quel degré l'eau entrait en ébullition à cette élévation, je me suis servi de chaux vive afin de produire la chaleur ; mais, par une distraction pardonnable dans l'état où je me trouvais, je plaçai mon thermomètre dans le vase qui produisait la chaleur, au lieu de l'introduire dans celui qui devait la recevoir. L'instrument fut saisi si subitement, au moment même où je m'aperçus de l'erreur, que je ne pus le sauver. Il est constant que lorsqu'elle entra en ébullition, je pouvais y mettre la main. »
Sixième expérience. « Une goutte d'éther vitriolique s'évapora en quatre secondes ; son odeur nous affecta d'une manière douloureuse, mais utile. Cette circonstance me fit sentir qu'il est indispensable, dans un voyage à cette élévation, de se munir d'une fiole d'alcali volatil et de vinaigre très fort, enfin de quelque stimulant qui, en excitant la fibre, détourne l'assoupissement et le sommeil qui accablent le physicien et lui ôtent l'aptitude nécessaire à ses recherches. A ce point élevé, l'état où nous nous trouvions était celui de l'indifférence : là, le physicien n'est plus sensible à la gloire et à la passion des découvertes ; le danger même qui résulte dans ce voyage de la plus légère négligence ne l'occupe guère ; ce n'est qu'à l'aide d'un peu de vin fortifiant qu'il parvient à retrouver des intervalles de lumière et de volonté.
« Comme je ne veux rien omettre de ce qui peut jeter quelque jour sur les fonctions de l'économie animale, et les opérations de la nature à cette élévation, je dois faire remarquer que, lorsque le baromètre était encore à 12 pouces, mon compagnon m'offrit du pain : je fis de vains efforts pour l'avaler, je ne pus jamais y parvenir. Si l'on considère attentivement l'état de l'atmosphère où j'étais, et dont la grande rareté n'offrait qu'une légère résistance à ma poitrine qui se dilatait; si l'on considère la petite quantité d'oxygène que doit contenir le fluide dans lequel je nageais, on pourra croire que mon estomac déjà plein d'un air plus dense et appauvri par la perte de l'oxygène, n'était point propre à recevoir des aliments solides et encore moins à lès digérer. Je dois ajouter que les sécrétions naturelles ont été suspendues chez mon ami et chez moi pendant les cinq heures de voyage, et qu'elles n'ont eu lieu que trois heures après notre retour sur la terre. »
Septième expérience. « J'avais emporté deux oiseaux : au moment de l'expérience, j'en trouvai un mort sans doute par la raréfaction de l'air ; l'autre paraissait assoupi. Après l'avoir placé sur le bord de la gondole, je cherchai à l'effrayer pour lui faire prendre la fuite, il agita ses ailes, mais ne changea pas de place ; alors je l'abandonnai à lui-même, et il tomba perpendiculairement et avec une extrême vitesse. Il n'y a point de doute que les oiseaux ne pourraient se maintenir à cette élévation.
Huitième expérience. « Des faits nouveaux relatifs à l'optique s'offrent aussi au physicien dans les régions supérieures. L'atmosphère inférieure était d'une pureté parfaite, tandis que celle qui était au-dessus de nos têtes était grise et brumeuse, de manière que ce beau bleu d'azur, alors visible pour l'homme qui se trouvait sur la terre, n'existait plus pour nous. (Il faut observer que le temps était calme et serein, et le jour le plus beau de la nature.) Le soleil ne nous paraissait pas éblouissant ; sa chaleur avait diminué en raison de notre élévation; elle était nulle lorsque l'on portait la main en dehors de la gondole, elle était faiblement sensible dans l'intérieur où les rayons éprouvaient une légère réflexion. »
« A onze heures et demie le ballon n'était plus visible pour la ville de Hambourg, du moins personne ne nous a assuré nous avoir observés à cette heure-là. Le ciel était si pur sous nos pieds, que tous les objets se peignaient à nos yeux, dans un diamètre de plus de 25 lieues, avec la plus grande précision, mais dans la proportion de la plus petite miniature. A onze heures quarante minutes, la ville de Hambourg ne paraissait plus que comme un point rouge à nos yeux; l'Elbe se dessinait en blanc comme un ruban très-étroit : je voulus faire usage d'une lunette de Dollon, mais ce qui me surprit, c'est qu'en la prenant je la trouvai si froide que je fus obligé de l'envelopper dans mon mouchoir pour la maintenir.
Lorsque nous étions à notre plus grande élévation, il s'éleva du côté de l'est quelques nuages sous nos pieds, mais à une distance telle, que mon ami crut que c'était un incendie dans quelque ville. La lumière étant différemment réfléchie par les nuages que sur la terre, leur fait prendre des formes plus arrondies et leur donne une couleur blanchâtre et éblouissante comme la neige; beaucoup d'objets tels que des habitations, des lacs ou des bois, nous paraissaient des concavités.
« Ne pouvant supporter aussi longtemps que nous l'aurions désiré la position pénible où nous nous trouvions, nous descendîmes après avoir perdu beaucoup de gaz et de lest. Notre descente nous offrit le spectacle de la terreur que peut inspirer un aérostat aussi grand que le nôtre, dans un pays où l'on n'a jamais vu de semblables machines : elle s'effectuait justement au dessus d'un pauvre village appelé Radenbourg, placé au milieu des bruyères du Hanovre. Notre apparition y jeta l'alarme, et l'on s'empressa de ramener les bestiaux des campagnes.
« Pendant que notre aérostat descendait avec assez de vitesse, nous agitions nos chapeaux, nos banderoles, et nous appelions à nous les habitants, mais notre voix augmentait leur terreur. Ces villageois couraient en désordre jetant des cris affreux; ils abandonnaient leurs troupeaux, dont les beuglements augmentaient encore l'alarme. Lorsque l'aérostat toucha la terre, chacun s'était renfermé chez soi. Ayant appelé inutilement à plusieurs reprises, et craignant que la frayeur ne les portât à quelques violences, nous jugeâmes qu'il était prudent de remonter, et je m'y déterminai avec d'autant plus de plaisir que je désirais faire un troisième essai sur l'électricité, que deux fois j'avais obtenue positive.
« Cette seconde ascension épuisa tout à fait notre lest : nous en pressentions le besoin, car le ballon ayant nagé dans une atmosphère très-raréfiée, était flasque et avait perdu beaucoup de gaz ; nous fîmes cependant encore dix lieues. Je prévis que notre descente serait extrêmement accélérée : comme il ne me restait plus de lest, je rassemblai tout ce qu'il y avait dans la nacelle, tels que les instruments de physique, le baromètre même, le pain, les cordes, les bouteilles, les effets, jusqu'à l'argent que nous avions sur nous ; je déposai tous ces objets dans trois sacs, qui avaient contenu le sable, je les attachai à une corde que je fis descendre à cent pieds au-dessous de la gondole. Ce moyen nous préserva de la secousse. Le poids parvint à terre avant l'aérostat, qui se trouva allégé de plus de 30 livres. Il descendit plus lentement sur la bruyère, entre Wichlenbech et Hanovre, après avoir parcouru 25 lieues en cinq heures et demie. On peut évaluer l'élévation de l'aérostat à 3,679 toises. »

Les ballons et les voyages aériens, F. Marion, 1867, Paris



LE MINERVE

N'est-ce pas sans doute pour se moquer de ces inventeurs de ballons à voiles que le célèbre physicien Robertson publia plus tard, en 1803, une brochure qui eut un grand succès, et dans laquelle il décrivit sous le nom de la Minerve, un immense ballon à voile de 50 mètres de diamètre, capable d'élever 72 000 kilogrammes et destiné à faire voyager dans tous les pays du monde «60 personnes instruites choisies par les académies», pour faire des observations scientifiques et des découvertes géographiques.
Nous donnons [ci dessus] le dessin de ce ballon gigantesque. Il suffit de le considérer pour voir que Robertson a voulu se jouer de son lecteur, ou plaisanter, comme nous venons de le dire, les inventeurs d'aérostats dirigeables. Nous donnons d'après lui la description suivante de l'appareil :
En haut de la machine est un coq, symbole de la vigilance : «un observateur intérieurement placé à l'œil de ce coq, surveille tout ce qui peut arriver dans l'hémisphère supérieur du ballon ; il annonce aussi l'heure à tout l'équipage.» (p. 192) Ce ballon enlève un navire qui réunit, dit l'inventeur, toutes les choses nécessaires. Il y a un grand magasin aux provisions, une cuisine, un laboratoire, une salle de conférences, un salon pour la musique, un atelier pour la menuiserie, enfin au-dessous du navire est «un logement pour quelques dames curieuses». Ce pavillon, ajoute Robertson, (p. 193) est éloigné du grand corps de logis, «dans la crainte de donner des distractions aux savants voyageurs».
N'avais-je pas raison de prévenir le lecteur que le projet de Robertson, qu'un certain nombre d'historiens ont eu le tort de prendre au sérieux, ne pouvait être accepté que comme une amusante plaisanterie?

L'aviation et la direction des aérostats dans les temps anciens et modernes, par Gaston Tissandier, 1886, Paris



Nous nous souvenons de la manière aimable dont lui-même plaisantait sur la Minerve, ce vaisseau aérien gigantesque dont il répandait la figure à profusion dans les villes où il s'arrêtait pour donner le spectacle de ses ascensions. Il ne voulait que faire parler.

Nouveau manuel complet d'aérostation, par Dupuis Delcourt, Paris, 1850

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