vendredi 23 septembre 2011

Paris-Bordeaux-Paris

Monument à Émile Levassor, détail. Sculpteur : Camille Lefebvre, d'après une maquette de Jules Dalou. Square Alexandre et René Parodi, Porte Maillot, XVIe ardt.
Où Émile Levassor remporte la première course automobile de l'histoire, impose le pétrole et crée une industrie essentiellement française.






INAUGURATION DU MONUMENT D'ÉMILE LEVASSOR

L’inauguration du monument élevé à la mémoire d’Émile Levassor, a eu lieu le mardi 26 novembre, à dix heures et demie du matin, à la porte Maillot.
M. Lampué, vice-président du Conseil municipal, a prononcé le discours suivant :


Mesdames,
Messieurs,
Nul homme au monde n’est moins qualifié que moi pour faire l’éloge de celui dont nous honorons la mémoire en inaugurant ce monument.
Oserai-je avouer devant vous, Messieurs, que je ne suis jamais monté sur une de ces merveilleuses voitures, dont l’invention et les perfectionnements sont dus à l’opiniâtreté et à la grande intelligence de l’homme dont ce marbre perpétuera l’image.
D’autres vous ont dit et diront encore tout ce que mon ignorance me défend d’aborder ; mais, si je ne puis entrer dans la technique de cette industrie si française, je puis dire au moins que l’ingénieur Levassor a doté son pays d’une industrie nouvelle, industrie qui, grâce à lui, est restée et demeure une industrie essentiellement française.
Par son invention, cet homme de bien a procuré une joie nouvelle aux heureux de la terre, et il a aussi donné du pain à des milliers et des milliers de travailleurs
Hier soir, cherchant comme je pourrais faire l’éloge de cet ancien élève de l’Ecole centrale, j’ai lu dans un journal que : de janvier à la fin octobre de cette année 1907, c’est à dire pendant neuf mois seulement, la France a exporté 120,611,000 francs de voitures automobiles ; voilà l’oeuvre de Levassor ; nul éloge ne vaut ce chiffre, aussi n’ajouterai-je plus rien.
Au nom du Conseil municipal, j’accepte la garde de ce beau monument et je remercie et félicite tous ceux qui ont contribué à son érection, glorifiant ainsi un ingénieur français.


Monument à Émile Levassor. Sculpteur : Camille Lefebvre, d'après une maquette de Jules Dalou. Square Alexandre et René Parodi, Porte Maillot, XVIe ardt.

M. Piette, directeur du cabinet du Préfet de la Seine, s’est ensuite exprimé ainsi :
Mesdames,
Messieurs,
Monsieur le Président de l’Automobile-Club,
M. le Préfet de la Seine, à son vif regret, s’est trouvé dans l’impossibilité de répondre à l’amabilité de votre invitation. En son nom, je viens me joindre à  M. le vice-président du Conseil municipal, pour vous remercier de votre geste de belle générosité à l’égard de la ville de Paris.
Votre monument est harmonieux en sa forme et en son emplacement.
Vers lui aboutit en avenue d’apothéose une grande voie consacrée à l’automobilisme, et devant lui défileront comme un incessant hommage les manifestations puissantes et élégantes d’une industrie nationale dont Emile Levassor fut, selon la juste expression de M. de Zuylen, un des premiers apôtres, --j’ajoute un apôtre et un martyr.
Sans doute les parisiens et les parisiennes, qui, les beaux jours revenus, s’en iront rapides vers le bois et la banlieue en verdure s’associeront à votre pensée fidèle, et enverront au passage, avec un peu de poussière, un brin de souvenir à l’un de ceux qui auront contribué à rendre légères et grisantes quelques heures de leur vie.

Bulletin municipal officiel de la Ville de Paris, 1907, p. 4613, lundi 2 décembre 1907


Monument à Émile Levassor, détail. Sculpteur : Camille Lefebvre, d'après une maquette de Jules Dalou. Square Alexandre et René Parodi, Porte Maillot, XVIe ardt.
Un pneu ailé enrubanné par une chaîne de transmission orne la clé de voûte.
Immeuble de la Chambre syndicale des carrossiers de Paris et départements, 1911. 35, rue des Renaudes, XVIIe ardt.


L'AUTOMOBILISME SUR ROUTES

(...)
Dès 1890, deux fabricants que leur initiative a rendus célèbres, Panhard et Levassor, employaient le bicylindre de Daimler à la construction de leurs premières voitures à pétrole. D'autres, comme Tenting, Roger, etc., les imitaient et, en 1891, une voiture Peugeot, à moteur Daimler, suivait Terront, à partir de Dreux, dans la fameuse course vélocipédique de Paris-Brest-Paris (1200 kilomètres). L'élan était donné et l'automobilisme sur routes, avec véhicules à pétrole, était définitivement créé, comme le prouva, d'ailleurs, le concours organisé, grâce à P. Giffard, par le Petit Journal, trois ans après, de Paris à Rouen. Quoique, dans cette course, un quadricycle à vapeur Dion-Bouton fût arrivé premier, le jury ne laissa pas d'attribuer le prix à une voiture à essence de Panhard-Levassor et Peugeot. Enfin, en 1895, le triomphe d'une voiture Panhard, à deux places, relativement légère (600 kilogr. à vide), dans la course Paris-Bordeaux-Paris (1200 kilomètres environ), en établissant la suprématie du pétrole comme agent de traction, montra qu'il était désormais inutile de demander à la vapeur la solution complète du problème de l'automobilisme, et indiqua ainsi aux constructeurs la voie définitive dans laquelle il convenait de se diriger.

Hôtel Mercédes. Sculpteur : Edgar Boutry. Env. 1905. 9, rue de Presbourg, XVIe ardt

C'est donc la course Paris-Bordeaux, organisée par l'Automobile-Club de France, alors récemment fondé, qui a été le véritable point de départ de l'industrie des voitures automobiles c'est elle qui a clôturé, pour cette industrie, la longue période de gestation commencée, en 1769, avec le fardier de Cugnot. Aussi l'effet qu'elle produisit à l'étranger fut immense. Les résultats en étaient à peine connus, que les Américains organisaient à Chicago, sous les auspices du Times Herald, leurs premiers concours d'automobiles sur routes. L'année suivante, en 1896, les Anglais s'empressaient de déclarer caduc le Locomotive Acts ; l'Engineer d'abord, la Self Profelled Association ensuite, ouvraient aussitôt des concours de véhicules automobiles, mais sur des bases plus pratiques que les concours français, de façon à pouvoir établir un jugement sérieux sur les différentes espèces de voitures engagées. L'Italie elle-même suivait le mouvement et, pendant l'Exposition de Turin, en 1898, c'est une voiture à pétrole italienne, la Bernardi, de Padoue, qui remportait le premier prix à la course internationale de vitesse Turin-Asti. Les raisons du succès de la voiture à essence sont, en gros, assez faciles à saisir.

Hôtel Mercédes. Sculpteur : Paul Gascq. Env. 1905. 9, rue de Presbourg, XVIe ardt

D'abord, les moteurs à pétrole présentent dans leurs organes une grande simplicité, leur mise en marche est instantanée et, une fois en mouvement, ils demandent peu de surveillance, ce qui n'est pas le cas pour les moteurs à vapeur. De plus, ces derniers comportent un lourd générateur, la chaudière, et une provision d'eau considérable, tandis que les moteurs à pétrole se contentent, comme générateur, d'un carburateur léger et, pour fournir un long trajet, d'une faible quantité d'essence, facile à emmagasiner et à renouveler. Enfin le rendement d'un moteur à vapeur est relativement faible, 10 pour 100 au plus, tandis que celui d'un moteur à essence peut s'élever à 20 pour 100. Il est vrai que l'emploi de la vapeur permet de faire suivre au travail moteur les variations du travail résistant, d'où, malgré les accidens de la route, une vitesse presque constante et une dépense de combustible qui se règle exactement sur la puissance employée en d'autres termes, le moteur à vapeur est doué d'une extrême souplesse qui lui donne un bon rendement économique au point de vue traction. Ce n'est pas le cas du moteur à pétrole aussi son rendement-traction est-il, nécessairement, très médiocre et le coût élevé de l'essence accentue encore cette infériorité. Mais qu'importe lorsque le temps vaut de l'argent ou, même, est plus précieux que l'argent ! Conclusion : la vapeur doit être laissée dans le vaste domaine de la voie ferrée, où elle règne depuis des années, et où, pour le transport en commun des voyageurs et des marchandises, l'économie est un des premiers avantages que l'on recherche, et c'est dans la voiture à pétrole qu'il faut chercher le véhicule puissant, léger et docile, sinon économique, que doit être la voiture d'un particulier.

Toutefois, dans le concours du Petit Journal comme dans la course Paris-Bordeaux, à côté des voitures à essence et à vapeur, on vit se mettre en ligne un certain nombre d'électromobiles, c'est-à-dire de voitures électriques. Il est assez facile de justifier et la présence de ces lourds véhicules, et leur vogue comme voitures de grand luxe.

Certes, à première vue, rien de moins pratique que leur réservoir d'énergie, c'est-à-dire l'accumulateur! Non seulement il est encombrant, non seulement il a une propension native à restituer au plus vite l'électricité qu'on lui a confiée, mais encore il est terriblement lourd, en ce sens que sa capacité électrique est, par rapport à son poids, si faible qu'on peut dire que se traîner lui-même est son principal souci. Ajoutons l'impossibilité de se ravitailler en route, et on comprendra pourquoi le rayon d'action des électromobiles actuels ne dépasse guère 50 à 60 kilomètres. Mais si le réservoir d'énergie présente d'aussi grands inconvéniens, reconnaissons d'abord que la science, pour l'instant, ne nous offre pas mieux et, qu'en revanche, le moteur actionné, la « dynamo, » est aussi parfait que l'accumulateur l'est peu. Le haut rendement de la dynamo (90 pour 100 en moyenne), sa merveilleuse souplesse, qui rend à peu près inutile tout organe de changement de vitesse, sa forme même, qui réalise ce système rotatif si cher aux ingénieurs (tant il s'adapte naturellement à la locomotion mécanique en général), l'inutilité de tout organe de régulation (car le moteur électrique se règle lui-même), la perfection des appareils qui servent à assurer sa marche, compensent, en effet, à bien des égards, les défectuosités de la source d'énergie. Ils la compensent si bien que dans tous les grands centres où il est possible de se ravitailler en énergie électrique, si coûteux que soit le ravitaillement, l'électromobile est de plus en plus employé. N'oublions pas aussi que ce véhicule est, naturellement, d'une propreté qui supprime bien des frais d'entretien.
(...)

P. Banet-Rivet


La course Paris-Bordeaux-Paris sur le site Histomobile, et la Paris-Marseille-Paris qui devait causer la mort d'Émile Levassor.




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