dimanche 11 septembre 2011

Familles parisiennes 1


Bas relief  Fontaine de la Charité, 46 rue de Sévigné, IIIe ardt, Sculpté par Fortin, 1806
Où l'on découvre que la Révolution Française n'est pas fertile que de nouvelles lois et décrets, qu'un philosophe catholique définit la famille comme pierre angulaire de la société, invitant ainsi les bâtisseurs du XIXème siècle à s'appuyer sur elle pour fournir le thème à de nombreuses décorations apposées sur les constructions parisiennes. Enfin on apprend comment doit se conduire une jeune fille de milieu modeste, conseils donnés par la bonne société.


Les mères sont nourrices.

Si l'on retrace chaque jour les scènes affligeantes de notre révolution, pourquoi ne pas parler d'un spectacle du moins consolant et qui frappe incessamment nos regards ? c'est celui que nous offre une multitude d’enfants allaités par leurs mères. De quel côté que je porte les yeux, je rencontre partout des enfants, et dans les bras de toutes les femmes ; les hommes eux-mêmes portent ces innocentes créatures : il n'est point de carré de verdure, point de promenade, point de place publique qui n'offrent des groupes d’enfants de tout âge. Ici, l'adolescence tire dans une multitude de petits charriots, l'enfance paisiblement endormie : vos pas sont arrêtés par tous ces petits attelages, mais tous n'en murmurent pas, vous ne vous en offensez pas, parce que vous êtes amplement dédommagés du retard par le gracieux sourire de tous ces êtres aimables et innocents. Ils vous entourent, ils vous pressent les genoux ; vous les écartez doucement pour poursuivre votre chemin. Là, la petite fille de dix ans fait la bonne, régente ses sœurs et cousines , et rien de plus intéressant à contempler que la subordination qui règne entre des âges que l'on confond avec celui où nous sommes parvenus.

Jamais dans aucune ville, dans aucun temps de ma vie, un pareil nombre d’enfants n'avait frappé mes regards. La maternité devient pour nos françaises un degré de plus d'agrément : toutes nourrissent, toutes s'honorent d'être mères, et toutes sentent que la seule et bonne nourrice, est la véritable mère. La maternité est tellement en honneur, que ses fonctions font taire tous les propos oisifs qu'inventaient la malice et la médisance. Le sexe est justifié de toutes ses faiblesses, dès qu'il offre une nourrice soigneuse et attentive. Les plus jeunes sont, pour ainsi dire, celles qui s'attirent le plus de respect , tant les devoirs de la nature, quand ils sont accomplis, imposent silence au bavardage de nos vains moralistes ! Eh ! la nature n'est-elle pas déjà une énorme usurière envers un sexe faible ; et si la femme ne trouvait pas dans les charmes et les caresses d'un enfant, non une récompense, mais un dédommagement de ses peines, la génération des êtres ne tarirait-elle pas bientôt ?



2 rue Damrémont, XVIIIe ardt



Il semble que toutes les âmes qui se sont envolées sur la frontière pour la défense de la patrie, soient rentrées pour animer de nouveaux corps, et former un foyer de républicains, qui jouiront des travaux et des sacrifices de leurs ancêtres.

L'enfance, plus soignée, plus libre dans ses mouvements, et qui n'est plus châtiée, indique un caractère de joie et d'indépendance qui charme l'observateur. Les corrections ont disparu ainsi que les nourrices vénales et grossières y la voix seule réprime les fautes ; et c'est ainsi que l'on doit accoutumer de bonne heure l'enfance à n'être régie que par la parole.
Les voilà, ces jeunes élèves qui s'entretiendront un jour de nos erreurs, de nos fautes, de nos malheurs ; ils nous jugeront, et la véritable histoire de nos calamités et de nos grandeurs ne sera que dans leur bouche.
Les petits caractères impérieux se décident déjà et annoncent la fierté républicaine. D'année en année les nuances se font sentir ; et moins gênés par des pédagogues, ils se livrent avec plus d'effusion au plaisir, leur attitude plus libre, en devient plus gracieuse ; ils seront meilleurs que nous, parce qu'ils auront été plus heureux dans leur premier âge.


23 rue du Landy, Saint-Ouen



Enfin le nombre des enfants est si grand, que dans telle promenade, il surpasse celui des personnes adultes (1). On ne peut se lasser de ce spectacle délicieux, qui annonce la profondeur des vues d'une nature régénératrice. Si c'est là un produit de la révolution (comme on ne saurait en douter), ce sont en même temps des scènes si touchantes , qu'elles peuvent tempérer les tristes couleurs du tableau de nos désastres passés. Mais quoi ! serait-ce une loi éternelle de la nature, que le bien jaillisse des sources du mal, et qu'il ne puisse être enfanté que par lui ? Je n'ose m'arrêter sur cette idée ; elle corromprait ce sentiment de joie qui me pénètre en voyant éclore une génération nombreuse, qui ressemble à cet essaim d'abeilles sorti des flancs du taureau d'Aristée ; et nous, comme les instruments d'un bras invisible et puissant , nous aurons tracé douloureusement cette carrière de tranquillité et de gloire que l'homme parcourt, ainsi que le prouve l'histoire, à la suite des grands mouvements et des bouleversements des empires.
(1) Sur dix enfants, j'en compte huit qui ont la chevelure blonde : ainsi les enfants du Nord sont constamment plus nombreux dans notre commune.
Louis Sébastien Mercier, Le Nouveau Paris, tome troisième, 1798







69 rue Madame, VIe ardt


DE LA FAMILLE.


On ne peut traiter de la société qu'on n'ait auparavant traité de la famille, qui en est l'élément réel ; car l'élément de la société destinée à durer indéfiniment, doit être indéfiniment durable. L'individu n'a qu'un temps très court, fugitive apparence, rêve d'une ombre, comme l'appelle le poète ; et, de plus, il n'est point organiquement complet. Il ne saurait donc être l'élément de la société temporelle ou de l'organisme social. Mais ayant en soi quelque chose qui ne meurt point, et la société spirituelle étant relative à cette partie immortelle de l'homme indépendante de son mode d'organisation, l'individu est l'élément de la société spirituelle, à laquelle il ne cesse jamais d'appartenir invariablement sous les formes diverses qu'il revêt dans le cours de son évolution éternelle.
Aucune espèce vivante ne subsiste que par la reproduction des individus : elle est le moyen de la perpétuité des types dans le monde physique. Tout être dépourvu de la faculté de se reproduire, ne serait donc pas un être, mais un fragment d'être ; il ne représenterait pas intégralement son type spécifique, puisqu'il manquerait d'une condition indispensable pour en assurer la permanence au sein de la création qui l'implique. Or, l'homme individuel ne se reproduit pas seul ; sa reproduction, comme celle des êtres physiquement analogues, nécessite le concours de deux individus semblables à certains égards, et différents à d'autres égards. Le véritable être, l'être typique, physiologiquement incomplet en chacun d'eux, résulte donc de leur union. Séparés, ils ne sont que des organismes inutiles, stériles, destinés à disparaître sans rien laisser de soi ; unis, ils forment un tout durable, l'homme réel enfin, qui, se reproduisant lui-même indéfiniment, se perpétue dans la série des générations successives : car l'enfant c'est le père et la mère perpétués, et perpétués sous la double forme correspondante au type physiologique complet.
(…)

Élément de la société qui embrasse toutes les relations des familles entre elles, la famille aussi est complexe. Elle se compose, comme on rient de le voir, du père, de la mère et de l'enfant multiple, solidairement liés dans l'organisme où chacun d'eux à sa place nécessaire et remplit des fonctions spéciales.

Edouar Blin Sculpteur, 8 rue de Monthyon, IXe ardt


Le père y représente le principe actif, la force, l'appareil du mouvement, principalement dans ses rapports avec les objets extérieurs ou avec la vie de relation, d'où ses fonctions propres : le travail, la défense, la direction de l'action commune vers le but naturel de conservation et de développement.


Edouard Blin sculpteur, 8 rue de Monthyon, IXe ardt



La femme y représente le principe de forme, d'ordre interne. En elle s'organise et prend sa croissance le germe fécondé par la puissance génératrice du père ; elle l'alimente de sa substance ; elle est à son égard l'appareil nutritif, et, en un sens plus large, on reconnaît le même caractère dans le genre des fonctions qu'elle exerce, les soins intérieurs, L'application aux besoins immédiats des membres de la famille, des produits transformés par elle du travail de l'homme. Invariables, quant à leur nature, ces fonctions s'agrandissent, s'élèvent à mesure que se développe son fruit. C'est elle qui lui fournit sa première nourriture intellectuelle et morale, qui l'initie à la parole et à la pensée. Comme elle avait allaité le corps, elle allaite l'âme, et forme ainsi l'être tout entier.
L'enfant, lien du père et de la mère, expression de leur amour mutuel, représente le principe d'union. Il achève la famille et en fait l'unité; car, en lui, revivent indivisiblement les deux principes corrélatifs qui ont concouru à sa formation. Il est le père et la mère reproduits sous les conditions d'un même organisme.
(...)
La famille se fonde par l'union volontaire de l'homme et de la femme, qui se donnent librement l'un à l'autre pour se compléter mutuellement ; et la liberté réciproque dans l'acte qui les unit est une condition nécessaire du lien, nul ne pouvant être lié à autrui contre sa volonté, eu sans sa volonté, puisque le lien même se résout dans une volonté unique. La tradition du corps n'est pas le mariage, elle n'est pas même ce qui s'en rapproche chez les animaux, en qui l'amour, l'attrait, certaines convenances senties, déterminent un choix instinctif.
L'être spirituel et l'être organique étant inséparables, le mariage les enveloppe inséparablement, et l'union qu'il opère, embrassant tout l'homme, implique l'union des âmes, des destinées, des devoirs, la fusion de deux en un.
En tant qu'il a pour fin la reproduction des individus et la propagation de l'espèce, il est réglé par des lois relatives à cette fin, en harmonie avec la fin spirituelle ou morale, de sorte que les lois relatives à celle.ci concordant avec les premières, elles.se prêtent une force mutuelle. .Ainsi la fin physiologique détermine des conditions du même ordre indispensables pour assurer la fécondité de l'union; et, par son essence même, l'organisme détermine encore deux autres conditions du mariage : l'une son unité, l'autre sa perpétuité. 




" Bon Courage " 67 blvd Raspail, VIe ardt, Henri Bouchard sculpteur, Léon Tissier architecte, 1918



Physiquement, la femme complète L'homme, l'homme complète la femme. En multipliant l'un des termes qui encourent à former l'organisme véritable, la polygamie produit donc un organisme monstrueux (1). Elle détruit l'unité physiologique de l'être complexe ; elle altère les rapports normaux de ses éléments constitutifs. Aussi, loin de favoriser la propagation, elle l'arrête, et, comme l'expérience l'a montré toujours, là ou règne la polygamie, l'espèce décline.

II y en a de nombreuses raisons. Il suffît ici de constater le fait, et d'en indiquer la cause radicale.
L'unité physiologique étant brisée, l'unité spirituelle l'est également, et le désordre enfante le désordre. Plus de don mutuel de soi, ni de lien dès lors ; on ne peut se donner tout entier à plusieurs. Où trouver désormais la solidarité des âmes, des destinées, des devoirs, la fusion de deux vies en une ? Dans la famille devenue un haras, les relations de ses membres changent profondément : ce qui devait unir divise; partout des semences d'inimitié, des germes de discorde et de dissolution. Tandis que la brute monte vers l'homme par une sorte de progrès marqué dans celui des natures diverses, l'homme descend vers la brute, et se range sous ses lois en violant les siennes.

(1) La polyandrie est plus monstrueuse encore, car on conçoit, en certains cas hypothétiques, un but à la polygamie, par exemple, le cas où plusieurs femmes seraient jetées avec un seul homme sur une ile déserte. Mais la polyandrie n'a jamais aucun but ; elle est, au contraire, toujours opposée aux vues de la nature dans l'union des sexes.

Félicité Robert de Lamennais, 1848


" Bon Courage " 67 blvd Raspail, VIe ardt, Henri Bouchard sculpteur, Léon Tissier architecte, 1918
" Bon Courage " 67 blvd Raspail, VIe ardt, Henri Bouchard sculpteur, Léon Tissier architecte, 1918



" Le bonheur est dans l'amour du foyer" Émile Derré sculpteur, 1900, 40 rue Poussin, XVIe ardt




CE QUE VAUT UNE FEMME ( Extraits )

Qu'adviendrait-il de notre pays le jour où la femme se trouverait détournée de sa destination naturelle, où la jeune fille pourrait supposer qu'il existe autre chose pour elle que la mission noble et sainte d'être épouse, d'être mère.C'est la pensée de cette mission, nous dirons plus, de cet apostolat de la femme dans la famille qui devrait être l'unique règle de son éducation, et rien ne devrait lui être enseigné qui n'ait pour but plus ou moins direct d'en faire la fille dévouée, la mère sage et prévoyante, l'épouse tendre et digne, c'est-à-dire l'ornement, la consolation, le soutien moral de la famille. C'est à son cœur autant qu'à son intelligence qu'il faut que l'on s'adresse, c'est à en développer les qualités que doivent s'employer les personnes ayant charge de son avenir. Aucune connaissance inutile, mais toutes les connaissances nécessaires, ce programme est assez vaste pour donner un aliment plus que suffisant à leur activité.
(…)


1906, Architecte Théo Petit, 89 rue Caulaincourt, XVIIIe ardt


ÉDUCATION MORALE
LA JEUNE FILLE DANS LA FAMILLE

Il est de nos obligations et de nos devoirs qui varient suivant la position sociale à laquelle nous appartenons, mais ce qui ne saurait varier, ce qui est un devoir strict pour toutes, que nous soyons filles de prince ou de simple artisan, c'est le dévouement à notre famille, l'attachement au foyer domestique. Et plus ceux qui nous entourent ont dû peiner et souffrir pour assurer notre existence, plus nous leur devons de reconnaissance et d'affection. Pour bien connaître la valeur d'un bienfait, il faut, dit-on, en avoir été privé ; n'attendons pas que nous ayons le malheur d'être privées ou éloignées des nôtres pour comprendre ce que nous devons à leur tendresse, à leur sollicitude. Abandonnons-nous sans réserve aux douces joies de la famille, accomplissons-en toutes les obligations, c'est là qu'est le bonheur, le vrai, le seul, celui que donne le sentiment du devoir accompli. N'oublions pas que notre mission sur la terre est d'aimer, de nous dévouer, de nous oublier pour les nôtres, et que le plus grand malheur pour une femme serait de n'avoir personne à qui consacrer ce que la nature a mis en elle de tendresse et de dévouement.

Monument à Eugène Carrière, Sculpteur Jean René Carrière, Henri Sauvage architecte place Constantin Pecqueur, XVIIIe ardt

Aimons d'abord ceux qui nous ont aimées les premiers, qui ont mis en nous leur espoir avant même que nous ne fussions nées. Ils étaient jeunes encore lorsque nous étions toutes petites, ont-ils hésité un seul instant à sacrifier leur jeunesse, à se priver de toute distraction et parfois même des choses les plus nécessaires à la vie, pour ne s'occuper que du cher bébé. Leurs joies, c'étaient nos premiers pas, c'étaient nos sourires, nos caresses. Quelles angoisses lorsque la maladie nous menaçait et que, penchés sur notre berceau, ils épiaient le moindre de nos mouvements. Quelles privations aussi n'ont-ils pas dû s'imposer pour nous élever sans que nous manquions de rien, et quelle douleur pour eux quand, malgré leurs efforts, ils ne pouvaient nous procurer tout le bien-être nécessaire. Et lorsque nous avons avancé en âge, quels soucis de tous les instants pour le présent et pour l'avenir. Ils nous ont fait ce que nous sommes, veillant sur notre santé, sur notre éducation, sur notre conduite, s'oubliant eux-mêmes en toutes circonstances pour ne songer qu'à nous. Aussi n'insisterons-nous pas sur l'obligation d'aimer nos parents, il n'existe pas sans doute d'enfant assez dénaturée à qui cette recommandation serait nécessaire, mais nous dirons qu'il ne suffit pas de les aimer platoniquement, qu'il faut leur témoigner notre affection par tous les moyens en notre pouvoir en saisissant avec empressement toutes les occasions de leur être agréables, en évitant avec soin tout ce qui pourrait les contrarier, en les entourant constamment de nos soins, de nos prévenances et de notre respect. N'oublions pas que de nous seules peuvent leur venir leurs plus grandes peines comme leurs plus grandes joies, et faisons en sorte de ne leur donner que des satisfactions en échange des sacrifices que nous leur avons coûtés.
(…)

Lorsque l'on verra une jeune fille respectueuse et dévouée pour ses parents, polie et bienveillante envers tous, s'occupant avec diligence des soins du ménage tout en conservant sur elle-même cette apparence de propreté qui la rend si charmante, l'on sera naturellement disposé envers elle à l'estime et à la sympathie. C'est alors que ceux qui désirent fixer leur avenir porteront leurs vues sur elle, pensant avec raison que celle qui est bonne fille, bonne sœur, sera bonne épouse et bonne mère.
De tous les actes de la vie, le mariage est le plus important, celui qui implique les plus graves conséquences et qui demande, par suite, le plus de réflexion. De l'union que vous contracterez, de la manière dont vous vous comporterez, dépendent le bonheur et la tranquillité de votre existence, de celle de vos enfants et de toute votre famille. Nous ne saurions trop insister sur la nécessité d'arriver à cette époque de votre vie avec le sentiment absolu et bien défini de vos devoirs. Le mariage étant l'état auquel vous êtes destinées, il est indispensable que vous soyez instruites des obligations qu'il impose.
(…)

Vos parents qui connaissent la vie, qui en ont l'expérience, seront meilleurs juges que vous-même des conditions propres à assurer votre bonheur. Ils n'ont en vue que le bien de votre avenir, et s'ils s'opposent à des projets qui vous sont chers, c'est qu'ils prévoient pour vous de cruelles déceptions. Les unions contractées dans ces conditions réussissent d'ailleurs rarement au gré des intéressés, l'accord des familles étant, en cette circonstance, ce qu'il y a de plus profitable.
(…)

LA JEUNE FEMME DANS SON INTÉRIEUR.

DEVOIRS ENVERS LE MARI ET LES ENFANTS.

Votre mari a droit à toute votre tendresse, c'est le premier devoir que le mariage vous impose. Si quelque chose en lui vous déplaisait, si vous pensiez ne pas pouvoir l'aimer, il eût mieux valu en faire part à votre famille, et refuser de contracter une union dont serait exclu le sentiment qui en fait le charme et la moralité. Mais du jour où vous l'avez librement accepté, votre existence cesse en quelque sorte de vous appartenir et doit être entièrement consacrée au bonheur de celui dont vous portez le nom. Vous ne cessez pas pour cela d'être la fille respectueuse et dévouée de vos parents, vous ne retirez rien à votre famille de vos premiers sentiments, mais vous êtes mariée et à cet état nouveau s'attache pour vous des obligations nouvelles. Vous devez aimer votre mari, vous lui devez, nous le répétons, une tendresse inaltérable et un dévouement sans bornes. N'objectez pas qu'il n'est pas tel que vous l'aviez supposé avant votre mariage, qu'il ne possède pas telle qualité dont vous le croyiez doué, qu'il a tel défaut dont il s'était bien gardé de paraître affligé. Vous n'aviez pas, je suppose, la prétention d'épouser un homme parfait, cette exigence ne se justifierait pas, n'étant pas vous-même d'une perfection défiant la critique. En effet, ne l'avez-vous pas quelque peu trompé, vous aussi ? Lorsque vous étiez sa fiancée, n'avez-vous pas dissimulé avec soin vos petits travers, et fait parade de toutes les qualités que vous pensiez lui être agréables ? Et si en sa présence vous aviez laissé brûler le rôti, si vous vous étiez laissée aller à quelque accès de mauvaise humeur, êtes-vous bien certaine qu'il vous eût épousée?
(…)

Les trois âges de la vie, la Maternité. Émile Derré sculpteur, 276 bld Raspail, XIVe ardt



Ce n'est pas seulement à votre mari qu'il faudra vous efforcer de plaire. Par le fait de votre mariage, ses parents, sa famille deviendront les vôtres, et sous peine des plus grandes perturbations dans votre intérieur, il faudra, par tous les moyens en votre pouvoir, chercher à vous les attacher. Pour éviter de froisser qui que ce soit, traitez en tout, au moins en apparence, les parents de votre mari comme vous le faites des vôtres. Soyez avec vos beau-père et belle-mère ce que vous êtes avec vos parents; écoutez leurs avis avec déférence, et s'ils vous paraissent sages et conformes à vos intérêts, mettez-les à profit. Si, au contraire, vous croyez devoir n'en pas tenir compte, expliquez vos raisons de manière à ne les pas blesser, et toujours avec douceur et aménité. Ces qualités, loin d'exclure une fermeté parfois nécessaire, en atténuent la rudesse et la font plus facilement accepter. En effet, le respect que vous leur devez ne saurait vous faire oublier que vous êtes maîtresse dans votre maison, et qu'à vous seule en appartient la direction.
(…)

Certaines jeunes femmes, partant de ce principe que l'homme doit subvenir aux besoins de la famille, pensent, une fois mariées, pouvoir se dispenser de travailler. Elles abandonnent alors la profession dont leurs parents les avaient pourvues, souvent au prix des plus durs sacrifices, sans songer que c'est précisément pendant les premiers temps de leur mariage, alors qu'elles n'ont pas d'enfant, qu'il leur serait le plus facile de s'occuper utilement. Elles ne réfléchissent pas non plus au surcroît d'aisance que leur gain, si modeste fût-il, apporterait dans leur ménage, ni aux longues heures d'ennui qu'elles auront à supporter pendant l'absence de leur mari, leur maison trop peu considérable ne pouvant les occuper constamment, ni aux funestes habitudes qui en seront la conséquence. Souvent même, surtout en pareil cas, une autre erreur vient s'ajouter à celle-ci: c'est qu'étant mariées, elles n'ont plus besoin de plaire. Ce propos, que nous citons textuellement, combien de fois ne l'avons-nous pas entendu dans la bouche de femmes dont la tenue plus que négligée trahissait le désœuvrement et l'insouciance.
(…)



Fondation Jules Lebaudy, 1913, C Garnier Sculpteur, A Labussière architecte, 7 rue d'Annam, XXe ardt


Voyez ces deux jeunes femmes que la fortune n'a pas favorisées. Mariées chacune depuis deux ans, elles habitent dans la même maison un petit appartement d'un prix modique, car leurs maris, cavistes tous deux, n'ont que des gains très-restreints ; mais quelle différence vous observez dès le seuil de leur modeste demeure ! Tandis que les deux pièces dont elle se compose sont chez l'une tenues avec la plus exquise propreté, que tout chez elle est clair et luisant, chez l'autre tout est en désordre, et les quelques meubles qu'elle possède accusent la négligence avec laquelle on les entretient. Tout chez elle crie le dénuement et la misère, pendant que sa voisine, avec cet art propre à la femme qui aime son inférieur, sait donner à sa maison une apparence de confort et de gaieté.



Fondation Rothschild, 1908, L Drivier sculpteur, Henri Paul Nénot architecte, 8 rue de Prague, XIIe ardt

Travaillant sans relâche pour les magasins de confections et gagnant en moyenne un franc vingt-cinq centimes par jour, elle a pu acheter le mobilier modeste mais convenable, et aussi le linge nécessaire au ménage que ses parents, trop pauvres, n'avaient pu lui donner. Le mari se plaît dans sa maison que lui aussi s'ingénie à embellir ; ne craignez pas que la journée terminée il s'attarde dans quelque mauvais endroit. Il s'empresse de rentrer chez lui: n'a-t-il pas toujours quelques clous à planter, et à soigner les fleurs, presque toutes rapportées des bois, qui donnent un si coquet aspect à sa demeure ? Il a hâte surtout de retrouver sa compagne, toujours gaie, fraîche et pimpante dans la petite robe à dix sous le mètre, confectionnée de ses mains. Il aime et estime cette jeune femme auprès de laquelle, revenu de son travail, il trouve le calme et la tendresse; il lui est reconnaissant du bonheur qu'elle lui donne, il en est fier ; et lorsque le dimanche elle part à son bras pour Une promenade bien méritée, il ne changerait pas sa place contre celle d'un empereur. C'est son plus grand plaisir d'aller ainsi, en compagnie de sa femme, à une petite campagne voisine, respirer l'air pur des champs ou des bois, ou bien de s'installer sous les beaux marronniers des promenades pour entendre la sérénade.


15 rue Henri Regnault, XIVe ardt
Au milieu de tout ce monde élégant, auprès duquel il s'aperçoit qu'il ne fait pas tache, il songe à la différence de sa vie tranquille avec celle de beaucoup de ses camarades moins favorisés. Il se dit qu'avant son mariage lui aussi allait au cabaret, et il se demande maintenant comment il pouvait s'enfermer dans cet affreux trou puant et noir, pendant qu'il y a ailleurs de l'air, du soleil, des oiseaux et des fleurs. Il est ainsi toujours satisfait, parce qu'il n'a rien à reprocher ni à lui-même, ni aux autres. Il est sans souci du lendemain, car l'existence régulière qui est la sienne lui conserve la santé, et il sait qu'il y a toujours en réserve chez lui de quoi parer à toute éventualité.
(…)


Fondation Rothschild, 1908, L Drivier sculpteur, Henri Paul Nénot architecte, 8 rue de Prague, XIIe ardt


Ces considérations sur lesquelles nous insistons, vous seront utiles dans l'avenir, pour soutenir le grand combat de la vie. Elles vous serviront d'arguments pour ramener à des idées plus saines ce grand gamin qui est votre mari, dont le cœur n'est pas mauvais, mais dont la tête, peut-être un peu folle, s'est laissé égarer par les élucubrations d'écrivains sans scrupules ou les extravagances d'orateurs qui mériteraient qu'on leur jetât des pommes cuites et des bottes de foin. Ils sont bien coupables ces gens qui, dans un but d'intérêt personnel, exploitent la crédulité et l'ignorance de l'ouvrier, et jettent le trouble dans sa conscience. Peu leur importent les résultats de leurs inepties, pourvu qu'ils en profitent; ils savent fort bien, du reste, que ce n'est pas eux qui en subiront les conséquences. C'est à vous, jeunes femmes, qu'il appartient de combattre les funestes doctrines qui, si vous n'y preniez garde, iraient jusqu'à compromettre l'existence même de votre foyer, car ces gens, ennemis de la propriété, sont en même temps les détracteurs de la famille. Si, par malheur, votre mari pouvait devenir leur dupe, si au lieu des gais propos qu'il apportait autrefois à la table de la famille, il faisait entendre de folles revendications, il faudrait user de votre influence pour éclairer sa conscience et sa raison, et le détourner de la voie périlleuse au bout de laquelle il ne trouverait que mécomptes et déceptions.
(…)

Un des meilleurs moyens, pour l'ouvrier, d'améliorer sa situation présente et d'assurer l'avenir, c'est sa participation aux sociétés mutuelles. Fondées pour la plupart par d'anciens ouvriers, hommes intelligents comprenant la nécessité de l'union et de la solidarité, elles offrent à leurs adhérents des facilités de toute nature, des combinaisons diverses qui leur permettent de se mettre à l'abri de la maladie, du chômage, de la cherté de la vie, et d'assurer en même temps le pain de leur vieillesse. Le but de ces bienfaisantes associations n'est pas seulement pratique et humanitaire, il est aussi moral. Ceux qui en font partie apprennent à se connaître et à s'estimer, en même temps qu'à s’entraider et à se soutenir. Ils forment, dans la grande famille française, une famille d'élite, honorable entre toutes, dont les membres s'écartent si rarement de la voie du devoir, qu'un de nos mutualistes les plus distingués, M. H. Maze, député de Seine-et-Oise, disait que parmi eux il n'en avait presque pas rencontré ayant un casier judiciaire. Cela s'explique par le fait que chacun tient à conserver l'estime de tous, et aussi par la force et la tranquillité que donne l'assurance du lendemain.
(…)

Une des raisons d'être de notre existence et qui en consacre l'utilité, c'est d'être mère. De même que sur l'arbre on cherche le fruit, auprès de la femme on cherche les enfants, sans lesquels il semble qu'il lui manque quelque chose. Quoi de plus noble et de plus doux que de voir s'entr'ouvrir ces jeunes intelligences et de les diriger vers le bien? Si nous ne reconnaissions la nécessité de faire en toutes choses notre devoir pour les différentes raisons que nous venons d'énumérer, il faudrait encore y rester fidèle pour les chers petits êtres auxquels nous devons, avec la subsistance, l'exemple d'une vie irréprochable et digne. Nous n'avons jamais rencontré une mère n'aimant pas ses enfants, mais nous en connaissons un grand nombre qui croient avoir rempli leurs obligations maternelles quand elles les ont comblés de caresses et satisfait à tous leurs caprices.
(…)


Monument à Eugène Carrière, Sculpteur Jean René Carrière, Henri Sauvage architecte, place Constantin Pecqueur, XVIIIe ardt

La première année est toujours la plus difficile; mais que de douces joies lorsque le petit être commence à comprendre, à vouloir vivre! Ses petites jambes s'agitent, il veut marcher; sa bouche bégaie les mots qu'il entend le plus souvent, et c'est vous la première qu'il appelle. Sans être partisan de la théorie de Darwin qui nous fait descendre du singe, il est vraiment intéressant d'observer la faculté d'imitation innée chez l'homme dès son berceau. Voyez votre petit enfant encore incapable de marcher, s'il peut s'échapper de vos bras, ce sera pour se traîner jusqu'à l'endroit où vous déposez votre balai, votre essuie, votre brosse ou tout autre objet dont vous vous servez fréquemment, et pour essayer d'en faire l'usage qu'il vous en voit faire à vous-même. Cette disposition naturelle s'accentuera au fur et à mesure qu'il avancera en âge, c'est pourquoi il importe de ne lui donner que de bons exemples. Ne faites rien, ne dites rien devant lui que vous ne voudriez lui voir faire ou lui entendre répéter. Étudiez avec soin les premières manifestations de sa volonté naissante, de ce qui sera son caractère propre; appliquez-vous à le diriger, à en corriger les défauts. Gardez-vous de cet excès de sensiblerie qui porte tant de mères à fausser l'éducation de leurs enfants dans la crainte de leur causer un léger désagrément, facile à supporter à cet âge. De même qu'il est plus aisé d'arracher un bourgeon qu'un vieil arbre, vous extirperez plus facilement un défaut dès son apparition, que si vous le laissez s'enraciner. Ce qui, dès le début, n'est qu'un petit défaut, finit généralement par devenir un grand vice ; or, les vices sont comme les gens de mauvaise compagnie, il ne faut leur laisser prendre pied nulle part, dès qu'ils paraissent, chassez-les au plus tôt. Votre enfant vous saura gré dans l'avenir des efforts que vous aurez faits pour le bien élever, pour former son caractère et son cœur et lui inspirer de bons sentiments
(…)

Pour être une femme distinguée, il ne suffit pas d'avoir bonne tournure ; si nous ambitionnons ce titre, il faut nous appliquer, dans la mesure du possible, à augmenter nos connaissances, à élever notre niveau intellectuel, de sorte que si quelqu'un des nôtres cause devant nous des grandes questions économiques et sociales qui intéressent tout le monde, il n'ait pas l'air de parler grec. Nous en retirerons des avantages de toutes sortes, d'abord en nous trouvant plus facilement en conformité de vues avec notre mari, ensuite en devenant capable de comprendre et d'apprécier les évolutions et les progrès qui s'accomplissent autour de nous. Il n'est pas nécessaire pour cela d'être savante ; l'instruction la plus élémentaire, celle qu'a consacrée l'obtention de notre certificat d'études, y suffit largement, surtout si nous savons l'étendre par la réflexion et d'utiles lectures. Cela ne saurait nuire à l'accomplissement de nos devoirs familiaux ; car, de même que l'on peut être une femme charmante sans connaître la chimie et une bonne mère sans rien comprendre aux évolutions des astres, l'on peut être également bonne fille, bonne épouse, bonne mère en s'occupant des choses de l'esprit, et on le sera même d'autant plus que l'intelligence sera mieux cultivée.
(…)

Fondation Rothschild, 1908, L Drivier sculpteur, Henri Paul Nénot architecte, 8 rue de Prague, XIIe ardt




Tout le monde ne peut avoir une habitation particulière; vous serez probablement obligée, pour des motifs d'économie, de vous loger dans une maison habitée par plusieurs locataires, de là une promiscuité souvent désagréable et gênante ; il faudra vous armer de patience et vous apprêter à supporter philosophiquement les ennuis qui en résultent. Dans la plupart de ces maisons, où la place est mesurée avec parcimonie et où l'on ne peut se mouvoir sans incommoder quelqu'un, il faudra vous resserrer le plus possible et éviter en toute occasion de gêner les autres. Quel que soit le tapage qui déchire vos oreilles ou la malpropreté qui offusque vos yeux, il faudra vous résigner et ne jamais trouver à redire à quoi que ce soit, pour éviter des contrariétés sans cesse renaissantes. Si les désagréments dont vous souffrez étaient vraiment trop graves, il vaudrait mieux chercher un appartement ailleurs que de vous exposer à vous faire des ennemis de vos voisins ; ce qui serait pour vous un supplice intolérable. Il faut d'ailleurs savoir se supporter mutuellement et ne pas faire aux autres ce que nous ne voudrions pas qu'ils nous fissent à nous-mêmes. Certaine société mutuelle, qui s'occupe de l'amélioration du logement de l'ouvrier, vous procurera une habitation saine et à bon marché ; ce qui vous permettra d'éviter en partie ces inconvénients.
(…)



Fondation Rothschild, 1908, L Drivier sculpteur, Henri Paul Nénot architecte, 8 rue de Prague, XIIe ardt




Voici maintenant l'état des dépenses d'une assez forte famille, d'une robuste santé. Le père, menuisier, gagne 4 fr. 50 par jour, soit pour 26 jours de travail 117 fr. par mois. Son vieux père, ancien ouvrier de la maison, employé à de petits ouvrages, ne gagne en moyenne que 2 fr., soit 60 fr. par mois. La femme, aidée de sa mère, gagne en moyenne 1 fr. 25 cent, par jour, soit 37 fr. En tout, par mois, 214 fr. La famille occupe un petit rez-de-chaussée composé d'une pièce sur le devant servant aux parents de chambre a coucher. Une autre pièce plus grande, dans laquelle couchent les enfants sous la garde de leur grand-mère, et qui sert aussi à la mère pour son travail; le grand-père a un lit portatif dans la cuisine. Ce logement coûte 25 fr. par mois.

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire